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légalement ébranlé de jour en jour et à la merci de tous les hasards. Ces hommes d’action rapide, toujours prêts à se jeter sur l’ennemi sabre en main, ne peuvent se résigner aux conditions toutes différentes de la vie politique. C’est pour cela qu’il appréciait la constitution de 1852 ; mais comme il avait aimé les gouvernans du régime de 1830 sans aimer le régime lui-même, il appréciait la constitution de 1852 sans avoir de goût pour les gouvernans. Malgré tant de titres qui le désignaient pour le sénat, il refusa toujours dry accepter un siège, non par esprit d’hostilité contre le nouvel empire, mais afin d’être plus libre de donner des conseils. Il faut ajouter qu’il était sombre, inquiet, mécontent du présent, très soucieux de l’avenir, et devenu presque misanthrope avec l’âge. Vous rappelez-vous le jeune rêveur de Châtenay que nous avons vu, au commencement de ce récit, errer tristement dans les sentiers déserts ? On retrouvait chez le vieillard les mêmes dispositions, aggravées par d’écrasans souvenirs et des appréhensions ténébreuses.

Au milieu de ses amertumes, a-t-il demandé des consolations à la religion chrétienne ? On pourrait le croire en lisant dans ses Mélanges les pages qu’il a intitulées Souvenirs et rêveries d’un octogénaire. Il y signale les maux profonds de la société, la ruine des croyances, la fureur des convoitises, la guerre sociale imminente. Il écrit à ce sujet des méditations en vers ; les vers sont faibles et d’une facture sénile, mais çà et là certaines aspirations révèlent une âme préoccupée des questions les plus hautes. La science et la croyance, la raison et la foi, voilà les sujets auxquels son esprit s’attache. C’est là qu’il jette ce cri :

L’instinct croit ;… ce qui doute en nous, c’est la raison.

Cette raison incomplète, infirme, cette raison qui repousse les principes divins et les vérités éternelles, il lui demande ce qu’elle a produit depuis un siècle en religion comme en politique. En politique ? Elle n’a fait qu’amonceler des ruines. Le vieux général le dit cette fois en des vers qui ne manquent pas de force :

Hélas ! depuis le jour où, frappé d’anathème,
Autorité de roi, de père, de Dieu même,
Tout périt, — que d’efforts, peuple décapité,
Pour refaire une élite à la société !
Quand à ce corps tronqué tu veux rendre une tête,
La tempête détruit ce qu’a fait la tempête,
Et rien ne lui survit, rien, depuis soixante ans,
Que daignent consacrer et le ciel et le temps !

Il en est de même dans le domaine religieux ; c’est pourquoi il appelle de toute son âme une foi qui pense et une raison qui croie.