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FLAMARANDE.

cru à un mouvement de jalousie filiale, et j’étais prêt à lui tout sacrifier comme à tout supporter de sa part. N’est-il pas un enfant gâté, et ne dois-je pas le gâter aussi ? mais un doute, un outrage à notre mère,… je ne pus endurer cela, je sentis que la colère me gagnait, et je ne répondis pas pour ne pas trop répondre. Il crut que j’acceptais l’imputation, et il reprit, voyant que je souffrais : — Après tout, je ne t’en veux pas, à toi ; si tu as du bonheur, ce n’est pas ta faute. Voyons ! qu’as-tu décidé ? Es-tu le fils adoptif de ton M. Alphonse ou le chef de la famille Flamarande ? Choisis-tu l’une ou l’autre position, ou vas-tu cumuler ?

« Je lui répondis ce que je sais et ce que je présume. — M. de Salcède voulait m’adopier, croyant apparemment que je n’avais ni nom ni état dans le monde. Quand il saura qui je suis, il n’y songera probablement plus.

« Il se mit à rire amèrement. — Ah ! tu crois que M. de Salcède ignorait qui tu es ? Tu es un ingénu, toi ! Tant mieux pour toi. Quand je te dis que tu es né heureux ! Allons, retourne à ton idylle dorée, et que le ciel te bénisse ! Moi, je vais prendre l’air le plus loin possible de ce poème champêtre !

« — Où vas-tu ?

« — Où il plaira à Dieu. Qu’est-ce que cela te fait ?

« — Je veux le savoir.

« — Je n’ai pas de comptes à te rendre.

« — Pardonnez-moi, vous êtes encore mineur, et je suis votre aîné.

« — Mon aîné, c’est cela ! mon chef de famille ! Vous allez me donner des ordres, vous ?

« — Oui, moi, le comte de Flamarande, je vous traiterai comme un enfant que vous êtes. Je vous empêcherai de flétrir votre mère par une fuite qui est l’aveu d’un soupçon infâme. Oh ! j’ai compris, allez ! Si je suis un ingénu, je ne suis pas un niais. Je n’ai pas vécu jusqu’à présent sans me demander qui était mon père, et je n’ai jamais eu la lâche pensée de croire que M. de Salcède me trompait en me jurant qu’il ne l’était pas. Je crois à ce qui est vrai, moi, je ne suis pas fou. Donc vous… Je ne veux pas vous dire que vous mentez ; mais on vous a mis un mensonge odieux dans l’esprit, et cela depuis hier soir. Il faut me dire qui vous a égaré ainsi, je veux traiter ce calomniateur comme il le mérite.

« Il ne voulut pas me répondre ; mais je devine très bien, et je crois que la personne n’est pas loin. »

En parlant ainsi, Gaston me regardait d’un air indigné, et je me sentais défaillir. M. de Salcède prit vivement la parole. — Tu te trompes, lui dit-il. La personne que tu accuses est venue ce matin m’apporter la preuve que voici.