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La ligne de la Saône à la frontière de Belgique, récemment décrétée afin de rendre à la région de l’est les voies navigables que la guerre lui a fait perdre, montre comment l’intérêt local peut accélérer l’achèvement d’œuvres qui lui sont utiles. Cette longue ligne traverse, sur un parcours de 500 kilomètres, cinq départemens, Ardennes, Meuse, Meurthe-et-Moselle, Vosges et Haute-Saône. Le devis s’élève à 65 millions; les travaux se termineront aisément en huit années, si l’argent ne fait pas défaut. Quelque avantageux que le canal d’entre Saône et Meuse soit pour le pays tout entier, nul n’aurait osé garantir que des allocations budgétaires d’un chiffre suffisant seraient accordées à cette entreprise huit années durant. Sur ce, les cinq départemens intéressés ont offert d’avancer à l’état le montant total du devis, à la condition que cette somme serait remboursée en vingt-huit ans avec un intérêt modique de 4 pour 100; mais les départemens empruntent eux-mêmes à un taux d’intérêt supérieur. Pour couvrir la différence, ils percevront à leur profit, dès que le canal sera livré à la batellerie, un péage de 5 millimes par tonne kilométrique. On a calculé qu’un trafic de 460,000 tonnes suffirait à les indemniser de toute perte; or le trafic ne peut manquer de dépasser ce chiffre dès les premières années de l’exploitation sur une voie navigable située dans des conditions si favorables. L’opération est bonne pour les départemens, qui s’assurent, au prix d’un risque insignifiant, la jouissance immédiate d’un instrument de transport perfectionné. Est-elle également bonne pour l’état, qui paiera en définitive, intérêts et amortissement compris, presque le double de ce que les travaux auront réellement coûté? Si ce n’est peut-être pas évident à première vue, on ne le contestera plus en réfléchissant que l’état retire des profits indirects, parfois très considérables, de toutes les améliorations exécutées en France. L’impôt, par ses formes multiples, ramène au trésor public le plus clair des bénéfices que donne au commerce et à l’industrie toute œuvre nouvelle. Le fisc est un associé inévitable dans toutes les entreprises privées ou publiques. C’est ainsi que l’on a prouvé par des statistiques fort exactes que le gouvernement reçoit chaque année des chemins de fer une somme bien supérieure à l’intérêt des subventions que les compagnies ont obtenues de lui.

Il est à peine besoin de faire observer que cette forme d’association entre l’état et les localités intéressées pour l’exécution prompte des travaux d’utilité publique n’est pas chose nouvelle. Dunkerque, Bordeaux, Le Havre, y ont eu recours pour l’agrandissement de leurs ports; plus récemment, l’assemblée nationale autorisait le ministre de la guerre à conclure des traités de même nature avec