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chambres, des syndics des principales villes. C’étaient les représentant de deux des plus vieilles maisons de l’Europe renouant amitié, après des siècles de guerre, devant le monument de Manin, tout récemment inauguré.

Tout a bien fini après avoir bien commencé. Ces fêtes de Venise, où la princesse Marguerite a représenté la grâce italienne, ont certainement un sens profond. Elles montrent que dans cette situation nouvelle créée par les événemens, acceptée sans arrière-pensée, il y a place pour une intimité naturelle et facile entre les deux nations. L’Italie ne porte plus au flanc sa vieille blessure ; elle n’a aucun motif de garder de l’amertume ou des ombrages, et, tranquille sur son indépendance reconquise, elle peut recevoir en hôte bienvenu celui qui a été si longtemps pour elle le maître étranger ; elle est même assez habile, assez politique pour mettre une sorte de raffinement dans sa courtoisie, dans ses démonstrations sympathiques. L’Autriche de son côté peut voir qu’elle n’a pas tout perdu en cessant de régner à Milan et à Venise. Elle a quitté l’Italie comme dominatrice, elle y revient en amie : elle était obligée de défendre par les armes un pouvoir toujours contesté ; elle est accueillie, recherchée maintenant comme alliée. Autrefois l’empereur François-Joseph n’eût rencontré devant lui que l’hostilité ou la froideur d’une population mal soumise, irréconciliable ; il est reçu aujourd’hui à Venise au milieu des manifestations de la cordialité populaire, il est fêté comme s’il n’avait pas été combattu. Nous nous souvenons qu’un jour le général de Lamarmora, avec sa franchise militaire, disait en pleine tribune qu’il voudrait voir l’empereur d’Autriche, qu’il ne désespérerait pas de lui démontrer qu’il était lui-même intéressé à renoncer à ses possessions italiennes, que tout serait changé par ce seul fait entre les deux peuples. Le résultat est venu, non pas aussi simplement, mais peut-être plus vite qu’on ne le croyait, et la réception de Venise justifie le mot du général de Lamarmora. C’est qu’en effet, la question de nationalité une fois vidée, ce qui divisait les deux pays n’existe plus ; il ne reste que des intérêts communs, des raisons de rapprochement, même des nécessités de bonne intelligence. Il en résulte une communauté naturelle de politique, une aisance de rapports qui laisse l’Italie satisfaite à Venise comme à Rome, l’Autriche elle-même plus tranquille à Trieste ou à Trente.

Cette rencontre des souverains a-t-elle une signification plus générale ? se rattache-t-elle aux affaires européennes du jour, aux questions qui sont un objet de préoccupation universelle ? Aux yeux des uns, l’entrevue de Venise a donné de l’humeur à M. de Bismarck, et l’empereur Guillaume, en complimentant par un télégramme les deux souverains, a fait, contre fortune bon cœur. Aux yeux des autres, c’est tout le contraire ; l’Italie et l’Autriche ne se seraient réunies que pour entrer dans les vues du chancelier allemand, pour lui prêter leur