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d’immenses achats de chevaux, et le gouvernement allemand en est pour son décret qui interdit l’exportation. Le licenciement de la classe de 1870 n’a point été suspendu tout à coup, par la raison bien simple qu’il n’a pas été commencé et qu’il ne doit s’accomplir qu’à l’époque réglementaire. L’assemblée de Versailles n’a point voté au plus vite et « en se cachant » la loi des cadres pour suffire à une augmentation immédiate et artificielle de l’armée française ; elle a au contraire discuté fort longuement cette loi préparée depuis deux ans, elle l’a votée sans rien cacher, et personne n’ignore que l’application de cette mesure exige un temps assez long ; c’est une transformation qui ne s’improvise pas en trois mois. Les ouvrages de fortification qui ont été votés pour Paris comme pour les frontières de l’est ne peuvent être exécutés avant plusieurs années, la plus simple inspection de la loi et de nos budgets suffit pour le démontrer. C’est le travail régulier d’un pays qui veut reconstituer ses forces ; mais assurément rien ne ressemble moins à la préparation d’une guerre prochaine.

Non, toutes ces fantasmagories n’abuseront pas l’Europe. La France ne médite pas une entrée en campagne, elle n’arme pas en toute hâte ses bataillons, elle ne cherche pas à nouer des alliances offensives, et elle n’entre pas dans des coalitions « sous l’égide du pape ! » La France reste fort tranquille, nullement indifférente à ce qui se passe sur le continent, mais sachant parfaitement se borner au rôle qui lui convient : elle est une simple spectatrice. Ce qui reste réellement de toutes ces « perspectives » d’agitation qu’on se plaît à évoquer, c’est cette lutte religieuse dans laquelle M. de Bismarck s’est engagé, qu’il poursuit avec une passion croissante, proposant maintenant la suppression des articles de la constitution qui étaient une garantie pour toutes les églises, ou cherchant à enlacer les autres états dans les replis de sa politique. On se trompe singulièrement si on croit que la France songe à faire figure dans ce drame ; elle n’y est pour rien, elle le suit tout simplement avec intérêt, comme on suit du regard un spectacle curieux et peut-être prévu. M. de Bismarck est de la race des dominateurs qui ne souffrent pas la dissidence. Qu’il s’en doute ou qu’il ne s’en doute pas, il recommence à sa manière le blocus continental, décrété, par une étrange ironie, à Berlin même. Napoléon voulait imposer à tout le monde, même aux neutres, sa politique contre l’Angleterre. M. de Bismarck veut imposer à tout le monde, même aux neutres, sa politique religieuse. Il s’est adressé à l’Italie pour lui demander des répressions contre le pape et la modification de sa législation intérieure, d’un des principaux actes de souveraineté nationale ; maintenant le voilà se tournant vers la petite et libérale Belgique, prenant pour prétexte quelques mandemens épiscopaux, une adresse des catholiques à l’évêque de Paderborn, et une lettre écrite par un ouvrier belge à M. l’archevêque de Paris pour lui proposer d’aller assassiner le chancelier. M. de Bismarck n’y va pas de main légère, il