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c’est-à-dire le rebut, comprend souvent d’excellentes truffes que les petits vendeurs savent trier et dont ils se défont parfois avec bénéfice sur le marché de Carpentras.

C’est vis-à-vis du bourgeois, acheteur occasionnel et souvent novice, que la ruse du paysan se donne librement carrière. Tromper sur la qualité de la marchandise n’est pas un cas de conscience dans le catéchisme du vendeur : cela s’appelle faire une bonne affaire. Voyez cette bonne femme avec son petit sac qu’elle serre avec un soin jaloux ; elle en montrera le dessus garni de truffes appétissantes ; méfiez-vous du fond et du milieu, c’est là que se dissimulent adroitement les rogatons, les rebuts, ou les sujets que l’art a sophistiqués. Ici l’argile remplit une crevasse, ajoutant au poids et voilant une avarie ; là cette même terre plastique associe en une façon de truffe unique deux ou plusieurs truffes minuscules ; de petits bouts de bâton donnent parfois à cette bâtisse ou conglomérat l’appui d’une charpente intérieure. Que la couleur pâle, jaunâtre d’une truffe en trahisse ou l’imparfaite maturité ou la qualité inférieure, un mélange de sulfate de fer ou de noix de galle va leur donner la teinte noire requise : ce même artifice est poussé plus loin en d’autres lieux qu’Apt, puisqu’on a vu à Paris de fausses truffes fabriquées de toutes pièces avec des pommes de terre avariées, colorées en brun et entourées d’une couche de terre extraite des truffières du Périgord.

En automne et dans le milieu de l’hiver, les truffes se consomment ou s’expédient en nature, c’est-à-dire sans préparation. C’est l’époque des grands dîners, et la France surtout goûte alors sous sa forme la plus savoureuse ce complément des mets les plus délicats. Plus tard, la consommation à l’intérieur diminue ; c’est alors que commence l’approvisionnement pour les mois d’été et pour la consommation lointaine. Conserver les truffes en vue de l’usage à venir est un problème qu’on s’est posé de bonne heure et qu’on a réussi à résoudre par des moyens variés dont le détail serait ici déplacé : la dessiccation, appliquée surtout aux truffes d’été, est un des plus imparfaits ; la saumure, l’huile, le vinaigre, le sucre, ont eu leurs partisans jusqu’au jour où la méthode Appert, appliquée sur une grande échelle, a constitué pour certaines maisons de Carpentras, de Périgueux, de Montagnac (Basses-Alpes), de Cahors, de Toulouse, de Gignac (Hérault), une industrie considérable. Les prétendus secrets de cette préparation sont aujourd’hui bien connus[1]. C’est dans les boîtes de fer-blanc que la clôture hermétique est la plus complète et la conservation des truffes le mieux assurée ; mais le consommateur aime à voir ce qu’il achète, au moins quant à la

  1. Consulter à cet égard H. Bonnet, la Truffe, p. 73-75.