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besoin aujourd’hui d’une telle précaution ; un peu d’attention suffit au truffier pour empêcher l’animal de s’approprier le fruit de sa chasse ; quelques glands, un morceau de pain, un peu d’orge ou de maïs, récompensent le porc de sa trouvaille, et dom pourceau est si bien habitué à ce troc que le plus souvent, parvenu à l’objet de sa recherche, il s’arrête de lui-même, lève la tête, regarde son maître d’un air significatif qui veut dire : « J’ai droit au salaire, » et consomme incontinent la maigre pitance qu’on lui jette à la place du tubercule odorant.

Le porc du reste, tel que les truffiers l’emploient, n’est pas l’animal obèse qui fait l’orgueil des éleveurs. Maigre et leste, il trotte allègrement devant son maître, si bien que le docteur Gubler l’appelle pittoresquement porc de course, et le docteur Maure cochon lévrier. Arrivé sur le lieu de ses recherches, il flaire le sol, s’arrête à l’endroit où la truffe mûre à point se trahit par son arôme, et là commence une scène originale où l’homme et la bête ont chacun leur part de sagacité. Ardent à la tâche, le brave auxiliaire, servi par ce curieux outil qu’on appelle un groin, fouille le sol le plus rocailleux, jette en l’air terre et cailloux, s’agenouille parfois sur ses courtes jambes de devant pour mieux atteindre la truffe, puis tout d’un coup, près de la saisir, il s’arrête, nouveau Raton, devant le Bertrand rustique qui s’approprie la capture : une courte baguette de fer aiguisée à l’un des bouts sert à dégager la truffe du sol et quelquefois à faire rendre gorge au pourceau, dont l’instinct gourmand toujours en éveil ne résiste pas à la tentation du mets favori. Dans cette lutte grotesque, le truffier court après la bête, celle-ci grogne, résiste, mais, paralysée par la crainte, finit par rendre l’objet volé. Le truffier d’ailleurs a grand soin de ne pas battre le porc, sans quoi, celui-ci, craignant les coups, refuserait son service ou ne s’y prêterait qu’avec méfiance ; à voir avec quelle intelligence un être si ignoble et si stupide en apparence suit l’impulsion que l’homme sait lui donner, on revient volontiers de ce préjugé qui nous fait voir dans les animaux de pures machines vivantes ; même chez les plus humbles de nos serviteurs, la volonté, l’intelligence, ont une part dans la tâche que nous savons leur imposer.

Un autre auxiliaire du truffier, c’est le chien. L’usage en remonte assez haut et vient aussi probablement d’Italie. L’Angleterre, où les truffes sont peu communes, l’Allemagne elle-même, la France, ont dû prendre les barboni ou chiens barbets du Milanais ou du Piémont comme modèles de leurs chiens truffiers. On dit pourtant que les premiers chiens de ce genre achetés en Italie en 1724 par le comte Wakkerbart et amenés en Saxe ne le furent qu’après qu’un chien de berger eut découvert spontanément des truffes à Sedlitz, près Dresde. En Pologne, Auguste II avait dès 1720 fait venir d’Italie