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yeux des profanes se révèle au paysan, qui trouve dans l’exploitation régulière de ce fonds nouveau les élémens d’une aisance et d’un bien-être inconnus à ses jeunes années. Ici donc s’ouvre une phase heureuse dans l’histoire de la truffe : c’est la récolte avec ses incidens variés, la vente avec ses habiletés et ses ruses, puis le commerce lointain avec ses visées ambitieuses, enfin le but où convergent tant d’efforts, la gastronomie apportant au monde entier, sous le couvert de volailles et de pâtés succulens, comme un étrange parfum du sous-sol de la Provence, du Languedoc, du Quercy, du Périgord et du Poitou. Donnons-nous le plaisir de suivre sur ce théâtre de sa gloire ce produit dont nous avons voulu surprendre les obscurs commencemens. Chasse, commerce, savante préparation, jouissance raffinée, sont les termes successifs de cette rapide étude, dont nous esquisserons discrètement les traits d’ensemble, insistant sur les côtés instructifs et laissant aux fins gourmets, aux virtuoses de l’ars coquinaria, la part des menus propos, des anecdotes piquantes, que comporte le sujet.


I

L’art de récolter les truffes devait être dans l’enfance chez les anciens. Tout semble prouver en effet que la vraie truffe, la truffe noire ou mélanospore des modernes leur était à peu près inconnue : ils ne savaient pas la chercher méthodiquement sous la profondeur d’un sol compacte, et se contentaient le plus souvent du terfez ou fausse truffe de Mauritanie, qu’une abondance plus grande et une facile récolte dans les terres sablonneuses mettaient plus aisément à leur portée, ou de la truffe d’été, qui, plus rapprochée que celle d’hiver de la surface du sol, en fendille souvent la surface. Ces moyens imparfaits et primitifs de la recherche à la marque étaient probablement les seuls que connussent les Romains, car ni leurs auteurs classiques d’agriculture, ni leurs poètes, ni leurs compilateurs scientifiques, ne font allusion à l’emploi du porc et du chien dans la recherche de la truffe. C’est pourtant en Italie que le dressage du porc à cet office a dû prendre naissance au moyen âge ou vers le commencement de la renaissance. Au XVe siècle, l’auteur d’un livre de Honesta Voluptate dit que rien n’égale l’instinct des truies de Nursa ou Norcia pour découvrir les truffes cachées sous la terre. Peu de temps après, la même pratique devait exister en France, car un auteur obscur, Sipontinus, cité en 1550 par le médecin Bruyerin Champier, parlant des sangliers et des porcs comme cherchant naturellement des truffes, ajoute que les paysans dressent à cette chasse des porcs domestiques dont ils lient la gueule avec une courroie pour mettre un obstacle à leur gourmandise. Pas n’est