Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/911

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas de peine, dit lord Russell, à obtenir le pardon du parlement pour notre victoire. » Le règne pacifique de Louis-Philippe ne donna guère occasion à lord Russell de se plaindre de la France. Il considéra la révolution de 1848 comme une catastrophe, et vit avec appréhension la France, dégoûtée d’une république de hasard, se jeter dans les bras du neveu de Napoléon. Il alla jusqu’à se séparer de lord Palmerston quand celui-ci reconnut trop hâtivement au gré de la reine le gouvernement issu du coup d’état de 1852. Ce divorce ne devait pas être long, et la question d’Orient rapprocha bientôt le nouvel empereur et les hommes d’état anglais, dont il se montrait disposé à servir les desseins.

La question d’Orient était née dans les lieux saints. Lord Palmerston au début recommandait à sir Stratford Canning de ne point se mêler du tout de la querelle de la France et de la Porte. L’Angleterre resta longtemps hésitante : c’est à lord J. Russell que sir Hamilton Seymour écrivit (11 janvier 1853) la fameuse dépêche de « l’homme malade. » Quelques jours après, il lui adressait dans une dépêche moins connue le récit d’une longue conversation avec le tsar. « Maintenant, disait ce dernier au ministre anglais, je désire vous parler en ami et en gentleman ; si nous arrivons à nous entendre sur cette affaire, l’Angleterre et moi, le reste importe peu ; ce que pensent ou font les autres m’est indifférent. Usant donc de franchise, je vous dis nettement que, si l’Angleterre songe à s’établir un de ces jours à Constantinople, je ne le permettrai pas ; il vaut mieux dans ces occasions parler clairement. De mon côté, je suis également disposé à prendre l’engagement de ne pas m’y établir, en propriétaire il s’entend, car en dépositaire je ne dis pas ; il pourrait se faire que les circonstances me missent dans le cas d’occuper Constantinople, si rien n’est prévu, si l’on doit tout laisser aller au hasard. » Le souverain qui se livrait avec une effusion si imprudente était visiblement sincère ; il voulait attirer l’Angleterre à lui, en faire un pôle d’une Europe dont il serait l’autre pôle. On peut deviner quels chatouillemens d’amour-propre éprouvait lord J. Russell en recevant de telles dépêches ; il ne s’attarda pas trop longtemps au rôle de Célimène diplomatique. Lord Palmerston avait réussi à triompher de quelques scrupules, et lui avait fait accepter sans trop de répugnance l’alliance de l’empire nouveau. Dès le 9 février 1853, lord Russell écrivait à sir Hamilton Seymour de manière à dissiper toutes les espérances du tsar. Il répondait à l’abandon d’une conversation décousue, familière, presque caressante, par la correction, à la confiance par la froideur. La mort de l’homme malade et l’ouverture de son héritage n’étaient plus que des « éventualités. » Il était impossible, en droit et en fait, de dissimuler aux autres cours les « transactions » proposées entre la Russie et