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vie du corps social, mouvantes ondulations qui ressemblent à la houle de l’océan. Cependant les lois de la mécanique universelle veulent que tout rhythme aboutisse à un équilibre final. L’individu et la société, l’intérêt de chacun et l’intérêt de tous arriveront donc nécessairement à une mutuelle harmonie. Dans l’espoir de cet avenir, résignons-nous aux oscillations présentes du rhythme ; le vaisseau sur la mer s’élève et s’abaisse avec la vague, mais la force supérieure qui enfle ses voiles le fait néanmoins avancer. Tantôt le bien et le progrès, tantôt le mal et le recul, qu’importe ? La rétrogradation elle-même est un moment nécessaire, quoique transitoire, du progrès ; nous marchons malgré tout vers l’époque de liberté et d’égalité qui réalisera l’équilibre des tendances égoïstes et sympathiques. La même force se manifeste au commencement, au milieu et a la fin ; la nécessité est le but, la nécessité est le moyen : avons-nous besoin d’une autre puissance et d’un autre droit ?

Ainsi, par l’intermédiaire des plus hautes doctrines de M. Spencer, nous pouvons faire se rejoindre l’Allemagne et l’Angleterre, comme sur un même sommet atteint par diverses directions. Nous ramenons la philosophie de la force et la philosophie de l’intérêt à cette unité qu’elles avaient présentée tout d’abord dans le Léviathan de Hobbes ; mais Léviathan, cet être gigantesque dont les individus ne sont que des parties presque imperceptibles, n’est plus seulement la société, c’est toute la nature. La science moderne a démontré que l’être qui désire vivre doit s’adapter au milieu, bien plus, qu’il s’y adapte nécessairement ou périt. L’univers est le milieu mobile auquel s’adapte l’humanité ; l’humanité est le milieu auquel s’adapte l’individu ; la morale individuelle et le droit public ne font qu’exprimer les progrès successifs de cet ajustement, et posent à l’espèce humaine l’alternative que toutes les autres espèces subissent : avance ou meurs.

Nous avons tenté de conduire aussi loin qu’il était possible la philosophie du droit dans l’école utilitaire. La nécessité physique et sociale, à laquelle nous avons fini par recourir, sera-t-elle en effet assez irrésistible pour suppléer au respect moral du droit en faisant franchir à l’individu la distance que son intérêt place entre lui et les autres ?

Le mécanisme qui doit assurer le triomphe final des forces sympathiques et par cela même de la justice universelle peut se résumer scientifiquement en ces deux formules : dans le présent, antagonisme de l’individu et du milieu social, ou rhythme de l’égoïsme et de la sympathie ; dans l’avenir, adaptation de l’individu au milieu social, ou équilibre de l’égoïsme et de la sympathie. Pour que de ce fonctionnement résulte le progrès du droit, il faut qu’au sein de l’humanité les deux facteurs subsistent l’un en face