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Austin, chez M. Sumner Maine, chez presque tous les jurisconsultes de l’Angleterre.

Le dernier mot de cette école, ce serait l’absorption entière de la législation et de la politique dans l’économie sociale. S’il faut l’en croire, ce n’est point sans raison que la société s’appelle le commerce des hommes entre eux : elle est véritablement un commerce de bonheur. De même que dans l’organisme vivant tout n’est que mouvement transformé, échange de fonctions et de services, ainsi toute l’organisation sociale n’est que de l’intérêt transformé, échangé, vendu et acheté, circulant de l’un à l’autre sous forme de services mutuels, sous forme de plaisirs mutuels. Le souverain du monde, dont l’effigie devrait se trouver sur toutes les monnaies, c’est le plaisir ; l’effigie a beau être effacée, c’est en son nom que tout échange a lieu, et ce qu’on appelle le droit n’est que la loi de l’échange.


II

Les premiers qui ont entrepris la critique de la doctrine utilitaire ne l’ont guère pu voir que sous les deux aspects qu’elle avait offerts successivement dans la politique de Hobbes, anarchie au début et despotisme à la fin, guerre de tous contre tous et domination d’un seul sur tous ; mais de nos jours un mouvement nouveau entraîne la philosophie anglaise vers des régions supérieures[1]. Comme les autres grandes écoles contemporaines, l’école utilitaire veut s’élever au-dessus de l’anarchie et du despotisme. Par toutes les voies, même les plus opposées, la pensée moderne tend à un libéralisme final. La liberté, il est vrai, se voit si souvent menacée dans son progrès, qu’elle n’a point trop de tous les argumens pour se soutenir ; encore mieux vaudrait-il être libéral en vue de l’intérêt, ou même en vue de la puissance, que de méconnaître le prix de la liberté. Recueillons donc tout d’abord, puisque les Anglais nous apprennent à ne rien perdre, et réduisons en système les principales raisons que l’école utilitaire peut fournir en faveur de la cause commune.

Le but proposé par l’école anglaise à la philosophie du droit et à

  1. De nos jours aussi la critique de l’école anglaise a dû se renouveler et a été perfectionnée, notamment par M. Wiart dans ses Principes de la morale considérée comme science (1862), par M. Renouvier dans sa Science de la morale (1869), par M. Janet dans sa Morale (1873), enfin par les travaux sortis d’un brillant concours sur la Morale utilitaire (1874). Nous devons le dire en toute justice, dans les pages qui vont suivre, principalement dans celles qui concernent M. Spencer et l’influence de la réflexion sur la sympathie, nous nous sommes plus d’une fois inspiré d’un de ces travaux encore inédit, mais destiné à une publication prochaine, œuvre d’un très jeune professeur a réservé à un bel avenir d’écrivain philosophe. » (Voyez les Comptes-rendus de l’Académie des Sciences morales et politiques, octobre 1874.)