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la trahison des généraux, celle même de Dillon, qui, moins heureux que les autres, n’avait pu échapper, disaient-ils, au châtiment. Les Annales patriotiques de Carra, l’Ami du peuple de Marat, répétaient en chœur le même refrain imbécile et sanguinaire.

Bientôt les événemens se précipitèrent, plus forts que la plus intrépide volonté. Après le 20 juin, André Chénier semble avoir eu pourtant comme un éclair d’espoir. La noble attitude du roi, sommé de lever son veto, menacé tout un jour et calme devant la multitude qui défila devant lui, sous la conduite de Santerre, aux cris de vivent les sans-culottes ! l’effroi de la bourgeoisie de Paris, la consternation de l’assemblée elle-même, tout cela semblait marquer cette occasion, unique dans les temps de révolution, qui permet, si l’on en profite, de prévenir les dernières catastrophes : heure suprême où tout peut être sauvé encore, après laquelle il est trop tard, et qui semble accordée, comme par une dernière faveur du ciel, aux nations ou aux dynasties en péril. « Non, s’écria André Chénier dans un dernier élan, quelle que soit l’audace des ennemis de la chose publique, l’âme des bons citoyens ne doit pas être entièrement fermée à l’espoir. La tentative faite le 20 juin pour soumettre le représentant de la nation au joug des clubs et des tavernes a dessillé les yeux de ceux même qui jusqu’ici s’étaient montrés les plus aveugles… Pour moi, citoyen obscur, mais intègre et fidèle aux lois, j’élèverai la voix en leur nom et au nom de la patrie, et je remercierai le roi du service qu’il vient de nous rendre. Je le remercierai de nous avoir appris comment on exécute les lois. » L’aveuglement de l’assemblée nationale, qui ne comprenait pas que sa cause était liée à celle de la constitution et à celle du roi, se montra incurable, et l’article que fit paraître André Chénier le 26 juillet, en réponse aux injures de Brissot, porte la trace de son découragement. On voit qu’il n’espère plus rien. Tout est bien fini en effet pour la cause constitutionnelle, qu’il représente avec une éloquence condamnée d’avance et un courage stérile. Le 10 août est là, tout près de lui, déjà formé, désormais organisé dans les clubs et dans les sections, qui va déposséder non plus seulement le roi, mais l’assemblée, devenue l’instrument déshonoré des violences populaires, jusqu’au jour où elle assistera silencieuse aux massacres de septembre.

Le Journal de Paris n’existait plus ; il avait disparu dans la tourmente du 10 août. Ses rédacteurs étaient dispersés ou en fuite. André quitta Paris, où sa famille le sentait menacé. Un séjour au Havre et à Rouen devait le protéger quelque temps contre les rancunes. Cependant il eut la preuve qu’elles le suivaient partout dans son exil errant ; il prie son père d’envoyer ses lettres à M. Ant. Caun, poste restante, au Havre ; il l’avertit de plus de