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Comme Phœax marmottant vos louanges,
Le nez en l’air, j’allais riant aux anges.

LE PRÉSIDENT


L’a-t-on vu rire ? est-il vrai qu’il ait ri ?


Ces deux scènes, si expressives en quelques traits, montrent bien ce qu’André aurait pu tirer de cette ample matière d’événemens comiques et tragiques qui se déroulaient sous ses yeux, si à chaque instant la vie d’action et de lutte ne l’avait arraché à ses compositions poétiques et jeté hors de son cabinet de travail dans la rue, au club ou dans les bureaux d’un journal.

Malheureusement nulle part il ne rencontrait à ses côtés son frère Marie-Joseph. C’était toujours au premier rang, parmi les exagérés de la révolution, qu’il l’apercevait, déclamant et rimant pour les plus tristes causes. C’est ce qui arriva encore au moment du retour triomphal des Suisses de Châteauvieux, condamnés aux galères deux ans auparavant pour révolte contre leurs officiers et pillage de leur caisse militaire, puis amnistiés, célébrés et reçus en triomphe le 15 avril 1792 par la ville de Paris sur la motion de Collot-d’Herbois, qui fut l’organisateur de cette fête impie, avec la complicité du maire de Paris, Pétion, qui s’en fit le protecteur, de David, qui en fut le décorateur, de Marie-Joseph enfin, qui en fut le chantre officiel. Cette affaire est trop connue pour que nous y insistions, si ce n’est pour rappeler les rancunes implacables que le courage d’André Chénier souleva à cette occasion. Tandis que Marie-Joseph associait son nom à ceux de la citoyenne Théroigne, des citoyens David et Hion dans une adresse au conseil-général de la commune de Paris pour l’inviter à prendre part à cette fête « que le civisme et les beaux-arts vont rendre imposante et mémorable, et qui acquittera envers les soldats de Châteauvieux la dette que la patrie a contractée, » presqu’au même jour André, au nom d’une délégation de la garde nationale parisienne, écrivait une éloquente adresse au directoire du département de Paris pour protester contre le triomphe sacrilège que l’on prépare. Le 24 mars, il avait envoyé cette adresse ; dès le 27 mars, il revenait à la charge dans le trente-huitième supplément du Journal de Paris. Il n’ignorait d’ailleurs aucun des périls qu’il amassait sur sa tête, et il s’y dévouait avec un mâle orgueil. « Quand des brouillons tout-puissans tombent détruits par leurs propres excès, alors leurs complices, leurs amis, leurs pareils, les foulent aux pieds, et l’homme de bien, en applaudissant à leur chute, ne se mêle point à la foule qui les outrage ; mais jusque-là, même en supposant que l’exemple d’une courageuse franchise ne soit d’aucune utilité, démasquer sans aucun ménagement des factieux avides et injustes est un plaisir qui n’est pas indigne