Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/830

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette lettre, il la signa : Chénier, auteur de Charles IX et de Caius Gracchus. Ce fut l’occasion de la polémique, et personne ne peut accuser André de l’avoir cherchée. Le Cabinet de lecture se moqua, c’était son droit, de cette réclamation, inutile, en ajoutant que personne n’aurait songé à soupçonner l’auteur de Caïus Gracchus. « Quel rapport y a-t-il entre l’éloquence nerveuse des réflexions. d’André et la triviale verbosité des préfaces de Joseph-Marie ? » L’amour-propre littéraire est en jeu, voilà la guerre déclarée. « Je vous remercie sincèrement, écrit Marie-Joseph, de m’avoir épargné l’opprobre de votre estime, et je suis fâché qu’un homme de mérite comme mon frère soit insulté par vos éloges. » Il prend en même temps l’engagement de combattre les très faibles raisonnemens qu’on a développés contre la société dont il s’honore de faire partie et surtout la proposition tyrannique qu’on a osé émettre de l’anéantir. André tente en vain de pacifier le débat où son frère s’est jeté inconsidérément. Pourquoi penser qu’il ait voulu accuser tous les membres d’une société ? Il désavoue les interprétations de ce genre, qui sont puériles : « Mon frère connaît depuis trop longtemps mon caractère et mes opinions pour que j’aie besoin de me justifier auprès de lui ; il n’a jamais trouvé et ne trouvera jamais en moi que l’amitié qu’on doit à un frère et les égards que l’on doit aux talens, quoique je sois prêt à défendre mon sentiment même contre lui. » Il y avait là de quoi désintéresser Marie-Joseph dans la querelle. C’était pour lui une bonne occasion de se taire et de se retirer de la lutte ; mais il avait composé l’apologie promise, il ne voulait pas la perdre, et, bien qu’il ait dû la conserver pendant deux mois en portefeuille, il saisit je ne sais quel prétexte pour la publier dans le Moniteur le 11 mai 1792. Elle est vide et déclamatoire ; elle promet dans les premières lignes de répondre « avec les ménagemens que l’on doit à un frère, à un citoyen digne d’estime, » mais elle s’achève par d’assez lourdes épigrammes contre « cette amplification de rhétorique qu’on a voulu donner pour une démonstration. » André, directement cité à la barre de l’opinion et indirectement à celle des jacobins qui poussaient Marie-Joseph à ce triste rôle d’accusateur public de son frère, dut répliquer, il le fit d’un ton sévère et attristé. On remarquera surtout une noble page sur la vraie liberté en Angleterre, sur la dignité des clubs dans ce pays, sur le respect britannique pour les lois du pays et pour l’honnêteté publique, qu’il oppose au spectacle de nos sociétés populaires. Un seul passage contient une allusion piquante aux différens motifs de ceux qui défendent si vivement la ligue jacobine, à l’appui qu’on peut trouver dans un parti bruyant et puissant, qui soutient tous ses amis, qui dispose des places, du crédit, de la faveur, de la réputation, et même de cette partie des succès littéraires dont la nature