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est industrielle ; elle possède de la houille et du minerai, des manufactures, des forges bien outillées. C’est dans le quadrilatère compris entre Montluçon, Châteauroux, Decize et Briare que sont concentrés ces élémens de richesse, auxquels les transports économiques sont indispensables. On se plaît à dire que Montluçon deviendra le Manchester du centre de la France : pour que Nantes en soit en même temps le Liverpool, il est nécessaire qu’une voie fluviale unisse ces deux points extrêmes. Jusqu’à présent, la région dont il s’agit ici ne possède que le canal du Berry, qui se compose d’un tronc commun entre Montluçon et Saint-Amand, et de deux branches aboutissant en Loire, l’une près de Nevers et l’autre, par la vallée du Cher, auprès de Tours. C’est, comme tant d’autres, un vieux projet du XVIIIe siècle exécuté seulement sous la restauration et la monarchie de juillet. On avait alors peu d’expérience des canaux artificiels, on savait que l’Angleterre en avait construit à petite section dont elle tirait beaucoup de profit. Le canal du Berry fut creusé de 1822 à 1841 avec des écluses qui n’ont pas plus de 2 m,70 de large et un mouillage de 1 m,20; aussi n’a-t-il coûté que 83,000 francs au kilomètre, ce qui est moitié de la dépense ordinaire. L’alimentation en avait été mal calculée dès l’origine, paraît-il, car il s’y produit encore des chômages prolongés par manque d’eau, bien que de nouveaux réservoirs aient été construits en ces dernières années. Néanmoins le fret s’y maintient au-dessous du prix habituel des meilleurs canaux connus, parce que l’exploitation en est patriarcale en quelque sorte. Pour 1,200 ou 1,500 francs, un marinier achète un bateau avec ses agrès, et s’y établit avec sa femme et ses enfans; un âne en est le principal moteur, mais chacun s’attache à son tour sur la corde de halage pour aider la pauvre bête. Ce modeste équipage parcourt à peu près 16 kilomètres par jour. Le soir venu, on dételle l’âne, qui rentre dans le bateau en compagnie de ses maîtres et de quelques animaux de basse-cour, après avoir prélevé sa nourriture où il a pu, sur les francs-bords du canal ou dans les champs d’alentour. Le bateau porte environ 50 tonnes et marche presque toujours à pleine charge. Voilà de l’industrie économique, puisque le prix du transport ne dépasse pas 1 centime 1/2 par tonne et par kilomètre. Aussi cette industrie primitive lutte-t-elle avec succès contre les chemins de fer malgré la supériorité que sembleraient donner à ceux-ci leur admirable outillage, chef-d’œuvre de la grande industrie, et leur personnel bien discipliné.

Ce qui manque le plus au canal du Berry, c’est une alimentation suffisante qui permette de supprimer ou tout au moins de réduire les chômages. Cela fait, on devra l’approfondir et l’élargir aux dimensions