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dominer la France. A quelque parti qu’on appartienne, quel homme de bon sens ne serait aujourd’hui de l’avis d’André Chénier quand il retrace en traits si incisifs et si justes « cette société gouvernée par des chefs visibles ou invisibles, qui changent souvent et se détruisent mutuellement, mais qui ont tous le même but, de régner, et le même esprit, de régner par tous les moyens. Cette société en a produit une infinité d’autres : villes, bourgs, villages en sont pleins. Toutes, se tenant par la main, forment une espèce de chaîne électrique autour de la France. Au même instant, dans tous les recoins du pays, elles s’agitent ensemble, poussent les mêmes cris, impriment les mêmes mouvemens, qu’elles n’avaient pas grand’peine à prédire d’avance. Leur turbulente activité a plongé le gouvernement dans une effroyable inertie. » Ce que l’écrivain ne peut souffrir, c’est le prodigieux abus du mot peuple, appliqué « à quelques centaines d’oisifs réunis dans un jardin ou dans un spectacle, ou à quelques troupes de bandits qui pillent des boutiques. » Déjà dans un article précédent (sur le choix des députés), il avait touché avec bien de la justesse et de la force à cet insolent mensonge des meneurs de la populace. « Nous savons maintenant, disait-il, avec quelle facilité on fait croire à un peuple qu’une petite partie de lui-même, c’est lui tout entier. On lui persuade qu’on le venge quand on ne venge que soi ; on lui parle de sa toute-puissance pour se rendre tout-puissant par lui ; on lui désigne comme ennemis ceux qu’on n’aime pas et dont on n’est pas aimé, et l’on intéresse la souveraineté nationale aux querelles de cinq ou six audacieux. » — Quelle nation résisterait à de pareilles attaques ? L’industrie et le commerce sont représentés dans ces sociétés comme des délits sous les noms d’accaparemens et de monopoles, tout homme riche y passe pour un ennemi public ; la diffamation effrénée s’appelle liberté d’opinion. « Qui demande des preuves d’une accusation est un homme suspect, un ennemi du peuple. Là toute absurdité est admirée, pourvu qu’elle soit homicide, tout mensonge est accueilli, pourvu qu’il soit atroce. La doctrine que toute délation, vraie ou fausse, est toujours chose louable et utile y est non-seulement pratiquée, mais enseignée au moins comme ce que les jésuites appelaient une opinion probable. » La France doit-elle donc être sacrifiée à ce petit nombre de Français « qui paraissent un grand nombre parce qu’ils sont réunis et qu’ils crient ? Ils crient partout que la patrie est en danger ; cela est malheureusement bien vrai, et cela sera tant qu’ils existeront. »

Par quelle étrange inspiration de respect humain ou de peur Marie-Joseph s’empressa-t-il d’écrire une lettre aux auteurs du Journal de Paris pour désavouer non-seulement toute part dans l’article de son frère, mais toute connivence avec ses opinions ?