Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/818

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’agitation et la discorde. Notre premier intérêt est de conjurer ce péril. « Or, si l’on examine à quoi tient parmi nous ce penchant aux soupçons, au tumulte, aux insurrections, porté à un si haut degré, quoique la division d’intérêts, la chaleur des opinions, le peu d’habitude de la liberté, en soient des causes toutes naturelles, nous ne pourrons méconnaître qu’elles sont prodigieusement augmentées, entretenues par une foule d’orateurs et d’écrivains qui semblent se réunir en un parti. Voilà les ennemis publics, parce qu’ils travaillent à égarer, à pervertir l’esprit public. » Et ici une admirable définition de ce que doit être un bon esprit public dans un pays libre : « N’est-ce pas une certaine raison générale, une certaine sagesse pratique et comme de routine, à peu près également départie entre tous les citoyens, et toujours d’accord et de niveau avec les institutions publiques, et par laquelle chaque citoyen connaît bien ce qui lui appartient, et par conséquent ce qui appartient aux autres, chaque citoyen connaît bien ce qui est dû à la société entière et s’y prête de tout son pouvoir, chaque citoyen se respecte dans autrui et ses droits dans ceux d’autrui ? .. Et quand la société dure depuis assez longtemps pour que tout cela soit dans tous une habitude innée, une sorte de religion, je dirais presque de superstition, alors un pays a le meilleur esprit public qu’il puisse avoir. » Cet idéal, André le décrivait, l’ayant vu presque réalisé sous ses yeux en Angleterre. Malgré tous les défauts qu’il trouvait à la nation anglaise, il n’hésitait pas à reconnaître et à montrer ce qui était le ressort de sa grandeur politique, le respect de la loi et de la liberté d’autrui.

Voilà les biens qu’il enviait pour la France. Ce qu’il flétrissait avec une énergie qui n’était pas sans péril, c’étaient les persécutions et les exécutions populaires qui épouvantaient les honnêtes gens, « cette horrible soif de sang, cet horrible appétit de voir souffrir, qui porte les hommes à se jeter en foule sur des accusés qu’ils n’ont jamais connus ou sur des coupables dont les crimes ne les ont jamais atteints. Une partie du peuple ose se mettre à la place des tribunaux, et se fait un jeu de donner la mort. Abominable spectacle, ignominieux pour le nom français, ignominieux pour l’espèce humaine, de voir d’immenses troupes d’hommes se faire au même instant délateurs, juges et bourreaux ! .. Et qu’il se trouve des écrivains assez féroces, assez lâches, pour se déclarer les protecteurs, les apologistes de ces assassinats ! Qu’ils osent les encourager, qu’ils osent les diriger sur la tête de tel ou tel ! Qu’ils aient le front de donner à ces horribles violations de tout droit, de toute justice, le nom de justice populaire ! .. Certes il est incontestable que, tout pouvoir émanant du peuple, celui de pendre en émane