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Chénier, avec cette mention : Marie-Joseph, rue de Corneille, Chénier de Saint-André (comme on l’appelait alors) en Angleterre. « Le 12 mai et le 17 juin eurent lieu deux assemblées générales de cette société, la première pour inaugurer le local dans lequel elle s’était installée au Palais-Royal, la seconde, à laquelle avait été invité Paoli, pour célébrer la transformation des états-généraux en assemblée nationale. Ces deux réunions avaient été brillantes et fastueuses, et avaient même déplu par l’étalage d’un luxe aristocratique. Néanmoins cette société aurait pu exercer une heureuse influence sur l’opinion publique par le caractère et le talent de plusieurs de ses membres ; mais on ne pouvait espérer fonder une société populaire en fixant à une cotisation de cinq louis l’admission de ses membres, et en s’attachant à l’étude abstraite de questions métaphysiques[1]. » L’esprit public se portait ailleurs. Les réunions de cette société comptaient les noms les plus illustres de l’assemblée nationale et du monde scientifique ; c’était une société savante, une sorte d’académie des sciences morales et politiques, plutôt qu’un instrument d’action populaire. Après quelques publications remarquées, elle finit par se perdre ou se transformer dans le mouvement impétueux des partis, sans laisser d’autre trace d’elle-même que de nobles et inutiles écrits. C’est le sort de la philosophie et des philosophes au milieu des tempêtes politiques. L’idée n’en a pas moins son action, une puissante action pour amener les événemens, plus tard pour les juger ; mais c’est la passion qui les accomplit. M. de Tocqueville nous fait remarquer le contraste entre la bénignité des théories et la violence des actes, qui a été l’un des caractères les plus étranges de la révolution française. Ce contraste, il l’explique par ce fait que la révolution a été préparée par les classes les plus civilisées de la nation, exécutée par les plus incultes et les plus rudes. C’est ce que disait presque dans les mêmes termes M. de Pange dans un fragment posthume où il résumait ses réflexions sur les six années qu’il venait de traverser : « la philosophie, qui n’a pas conduit cette révolution qu’elle avait pourtant préparée, ne la terminera pas non plus ; mais elle apprendra peut-être à en profiter. » Les politiques ne tardèrent pas à s’éloigner de cette société d’idéologues, les hommes d’action n’avaient même pas attendu les politiques ; il ne resta que des publicistes de doctrine et des penseurs. Ce n’était pas assez pour établir l’influence de cette réunion sur la marche des événemens ; c’était assez pour en assurer le renom et l’autorité dans l’histoire.

C’est dans le n° 13 des Mémoires de cette société, le 28 août 1790,

  1. Becq de Fouquières, Œuvres en prose d’André Chénier, notice préliminaire.