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avoir leurs racines dans certains usages rudimentaires des peuples aryens et spécialement dans celui-ci. A mon avis, l’étymologie même du mot féodal vient à l’appui de cette opinion : elle montre que chez les Germains l’origine des relations de vassalité, appelées plus tard féodales, a été la même que chez les Celtes d’Irlande. Le mot fee, qui en anglais signifie rémunération, honoraire, est évidemment le même que vee hollandais et vieh allemand, signifiant bétail. Si le même mot a le sens de rémunération et de bétail, c’est manifestement parce que le bétail était autrefois la rémunération d’un service rendu. Quand plus tard, au lieu de bétail, on a donné de la terre, cette terre était un feod (un bien, od, rémunération, fe), en opposition avec un allod (un bien, od, complet, all), un domaine personnel complètement indépendant, ne relevant de personne. Le chef donnait au vassal du bétail, puis de la terre, pour s’assurer ses services, comme aujourd’hui encore en Suède on donne aux soldats de l’in-delta la jouissance temporaire d’un domaine au lieu d’une paie en argent. Les bénéfices, c’est-à-dire des terres données par les rois à leurs fidèles, étaient des feods, des fiefs. Le système féodal date évidemment du temps où le bétail était à la fois la seule rémunération et la seule richesse. Cette forme de la vassalité, qui existait jadis chez les Celtes irlandais, paraît si naturelle à un certain état social qu’on la rencontre identiquement la même chez les peuples les plus divers. C’est ainsi qu’on trouve dans le livre très curieux du révérend H. Dugmore, sur les Lois et usages des Cafres, le passage suivant : « Comme le bétail constitue la seule richesse des Cafres, il est l’intermédiaire de toutes les transactions qui impliquent échange, paiement, rémunération de services. Les suivans d’un chef le servent moyennant rétribution en têtes de bétail, et il ne pourrait conserver son influence, ni même s’attacher personne, s’il n’était largement pourvu de ce qui constitue à la fois leur monnaie, leur nourriture et leur vêtement. » Ces quelques lignes sont la peinture fidèle de l’état social primitif de l’Irlande et de la Germanie.

Quand à l’époque des Brehon Laws un membre de la tribu avait reçu du bétail du chef, il devenait son homme-lige, son vassal. Plus il acceptait de têtes, plus sa dépendance était grande, car cela prouvait son dénûment. De là provenait la différence entre les deux classes de tenanciers, les saer tenants et les daer tenants, qui correspondaient assez exactement aux catégories de manans d’un manoir anglais, les free et les base tenants. Le saer stock tenant, qui n’avait reçu qu’un petit cheptel, demeurait un homme libre et conservait tous ses droits au sein de la tribu. Après sept années, durée normale de ce vasselage, il devenait propriétaire du bétail qui