Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/798

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

privée. J’ai essayé de montrer ici même que le régime de possession collective du sol par la tribu, tel qu’on le rencontre encore aujourd’hui dans le mir russe et dans la dessa javanaise, est une étape de la civilisation par laquelle tous les peuples ont passé, et d’après sir H. Maine ce fait ne peut plus guère être révoqué en doute[1]. A l’époque des Brehon Laws, tout le territoire de la tribu est encore considéré en théorie comme appartenant à la communauté tout entière, mais en fait une assez notable partie du sol a été appropriée d’une façon permanente par certaines familles ; toutefois des terres communales très vastes, couvertes d’herbages et de bruyères, servent de pâture au bétail. Des parties du communal sont alternativement mises en culture, comme cela se pratique aujourd’hui encore dans beaucoup de pays, notamment dans les Ardennes belges ; mais l’occupation en est temporaire, la propriété demeure à la tribu. Les partages périodiques et l’occupation alternative se sont maintenus jusqu’à nos jours sous la forme du rundale[2]. Une grande partie du sol était soumise à des modes de tenure et à des coutumes agraires fortement imprégnées des traditions de l’antique possession collective. A l’époque des Brehon Laws, la propriété privée s’était à peine dégagée de la communauté primitive du sol. Un manuscrit irlandais du XIIe siècle, le Lebor na Huidre, a conservé le souvenir de cette transformation, et il en indique la cause comme pourrait le faire un économiste. On y trouve ce curieux passage : « Il n’y avait autour des champs ni fossés, ni haies, ni murs de pierre, et la terre n’était pas divisée jusqu’au temps des fils d’Aed Slane. Ce fut à cause du grand nombre des familles à cette époque que les divisions et les limites de terrain s’introduisirent en

  1. « La possession collective du sol par des groupes d’hommes qu’unissent des liens de famille peut être maintenant considérée comme un phénomène primitif caractérisant toutes les sociétés humaines qui ont quelques rapports avec les nôtres. » Sir Henry Maine, Early History of institutions. — Voyez, dans la Revue du 1er juillet 1872, les Formes primitives de la propriété.
  2. Sous le régime du rundale, une certaine partie de terres était occupée par un groupe de familles. Le pâturage et la tourbière (bog) étaient soumis à la jouissance collective, et les terres arables, divisées en exploitations, passaient périodiquement, parfois même annuellement, d’une famille à une autre. On rencontrait aussi souvent d’autres traces du régime de la mark : le sol arable était divisé en trois zones de qualités différentes, et chaque famille avait un ou plusieurs lots dans chaque zone. Encore tout récemment ce même système agraire se rencontrait dans les highlands d’Ecosse. Sir H. Maine a constaté que dans les highlands de l’ouest les communautés de village, dissoutes en ces derniers temps, partageaient périodiquement les terres entre les habitans par un tirage au sort. M. Skene, dont l’autorité est grande en cette matière, exprime l’opinion que ce régime agraire était jadis généralement en vigueur parmi les Celtes écossais. Voyez sa note sur a les communautés de tribun (Tribe communities in Scotland), dans le second volume de son édition de la Fordun’s Chronicle.