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indivise. Les membres de la famille sont unis, comme on dit dans l’Inde, « pour la nourriture, le culte et la terre. » En Irlande, la solidarité des hommes du sept est complète : ils sont tenus de payer la composition pour l’offense commise par un des leurs. La ressemblance entre la joint-family hindoue et irlandaise s’étend jusque dans les détails. D’après la loi brahmanique, ce’ qu’un membre de la communauté gagne par quelque connaissance scientifique spéciale ou par la pratique d’un art libéral lui appartient en propre, à moins qu’il n’ait acquis ses talens aux frais de la famille. Un des anciens traités de lois irlandaises, le Corus Bescna, établit la même distinction. Le membre de la tribu peut donner à l’église les deux tiers de ce qu’il gagne par l’exercice d’une profession libérale ; mais il en est autrement si cette profession est celle de la tribu même. Dans ce cas, les émolumens appartiennent à la communauté.

La tribu du temps des Brehon Laws constitue une personne civile qui « se soutient elle-même, » comme disent les textes. Elle s’est continuée d’abord par la possession de la terre : « la terre est une personne perpétuelle ; » mais elle peut subsister aussi, sans cultiver le sol, par l’exercice de quelque industrie. Une partie du territoire de la tribu, probablement la terre arable, se trouve répartie entre les différentes familles du clan ; mais ces parts restent soumises au contrôle de la communauté. « Chacun, dit la loi, doit conserver sa terre intacte sans la vendre, sans la grever de dettes, sans la donner en paiement pour des crimes ou des contrats. » comme dans toutes les coutumes anciennes, l’aliénation n’est permise qu’avec le consentement de toute la communauté, et il en est encore ainsi dans l’Inde[1]. L’obligation de suivre le même assolement dans la culture, le Flurzwang, comme disent les Allemands, est aussi stricte ici que dans le mir russe ou dans l’ancien village germanique. C’est, avec le mariage, l’une des institutions fondamentales du peuple irlandais, dit le Corus Bescna. Le mot de Tacite parlant des Germains : apud eos nullum testamentum, est vrai aussi des Celtes irlandais comme de tous les peuples à l’origine. C’est le clergé qui emprunta la donation et le legs au droit romain, afin de permettre aux gens pieux d’enrichir l’église en sauvant leurs âmes.

Le régime agraire de l’Irlande à l’époque des Brehon Laws offre un état de transition entre la collectivité primitive et la propriété

  1. « L’aliénation d’une propriété foncière est très rare, dit sir G. Campbell, et la communauté de village a un droit de veto. » (Systems of Land tenure. Cobden club Essays, p. 166.) Voyez aussi, pour le droit de retrait, le livre si curieux de M. Viollet : Caractère collectif des premières propriétés immobilières, p. 30.