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juge, qui prononce un jugement que l’état souverain fait exécuter, au besoin par la force. Dans les temps barbares, l’individu lésé attaque à main armée celui dont il a eu à se plaindre, et il en résulte fréquemment une guerre de clan à clan. Entre ces deux moyens extrêmes d’arriver à se faire rendre justice, — l’action devant le tribunal et l’attaque à main armée, — nous en trouvons d’autres qui tiennent le milieu entre l’emploi de la force et le recours au juge. Parmi ceux-ci, « la saisie du gage » se présente chez tous les peuples aryens, à une certaine époque, avec des caractères très semblables. Gaius, parmi les actions primitives appelées legis actiones, cite la pignoris capio, la saisie du gage. Dans certains cas exceptionnels, le créancier pouvait saisir directement des objets appartenant au débiteur, même avant de l’avoir cité devant le juge. Platon, dans son livre des Lois, fait mention d’une action du même genre. Dans l’ancien droit anglais, nous trouvons la procédure du distress. Un individu étant lésé par quelqu’un ou ayant quelque réclamation à sa charge pouvait saisir le bétail de celui-ci, et le conduire dans une prairie close, réservée à cet effet dans le village et appelée pound. Là les bêtes devaient être nourries par leur propriétaire, qui ne pouvait les ramener chez lui. S’il ne consentait pas à donner satisfaction à la partie adverse, il devait ou offrir une garantie ou s’adresser au shérif. Le shérif faisait restituer le bétail au propriétaire, mais à la condition que celui-ci s’engageât à se soumettre à la décision du juge. Les lois des peuples germaniques, les leges barbarorum, font mention de la même coutume, et notamment la loi salique en parte très en détail. cette procédure paraît étrange, et même inexplicable ; mais il faut se figurer qu’elle remonte à un temps où le pouvoir souverain et la vindicte publique n’existaient pas encore, et où les litiges, même les attentats contre les personnes, restaient affaire privée. Comment arriver au redressement d’un tort sinon en s’emparant de choses appartenant à celui dont on voulait obtenir satisfaction ? Le plus étendu des traités des Brehon Laws, le Senchus Mor, se rapporte presque entièrement aux formalités du distress. En Irlande, le créancier ne pouvait saisir les biens du débiteur qu’après lui en avoir donné avis, et, pour procéder à la saisie, il devait être accompagné de témoins. Avant que le bétail saisi ne fût mis dans le pâturage réservé, le débiteur pouvait le réclamer en donnant « un objet de valeur ou son fils » en garantie de sa promesse de se soumettre aux décisions du juge. Dans le Vyavahara Mayukha, livre de loi brahmanique, l’auteur, Brihaspiti, cite, parmi les moyens de forcer un débiteur à s’exécuter, la saisie comme gage de sa femme, de son fils ou de son bétail. Ainsi dans tous les pays âryens depuis