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endommage, était plus redoutable. Bailey, avec le Cayuga, l’avait déjà dépassé, après avoir tiré à mitraille dans les embrasures, selon les recommandations du commodore ; mais il avait payé cher son audace, car son navire n’avait pas reçu moins de quarante-deux boulets. Le Pensacola et le Mississipi avaient engagé à leur tour le combat. Farragut arrive à leur aide ; il est attaqué à la fois par le Manassas et par un brûlot : en cherchant à les éviter, le Hartford échoue, et le brûlot lui communique ses flammes. Par bonheur, elles sont bientôt éteintes : le vaisseau-amiral se dégage, et, tandis que le Manassas disparaît dans l’ombre, il ouvre à petite portée sur les batteries du fort Saint-Philippe un feu si bien nourri que presque tous les canonniers confédérés abandonnent leurs pièces. Le Brooklyn le suivait, mais avait été retardé par le barrage, et il n’avait pu se frayer un chemin qu’en coulant, au risque de se briser lui-même, l’une des coques amarrées dans le fleuve. Cette corvette rencontre à son tour le Manassas. Le bélier confédéré tire sur elle son unique canon, à 3 mètres de distance : heureusement pour le Brooklyn, le boulet se loge dans les sacs à terre disposés autour de sa machine et ne cause aucun dommage à celle-ci. Le Manassas veut alors aborder son adversaire : il n’a pas assez d’espace pour prendre de l’élan, et son effort se brise contre les chaînes tendues sur les flancs du navire fédéral. Celui-ci avait pris la place du Hartford devant le fort Jackson, lorsqu’un autre ennemi, une des canonnières confédérées, vient l’attaquer : une seule bordée tirée à 50 mètres suffit pour désemparer ce nouvel adversaire, qui prend feu et dont l’incendie illumine un moment le théâtre de ce combat acharné.

Pendant que chaque navire dirigeait son tir sur l’éclair des pièces ennemies, les canonnières unionistes avaient dépassé les forts, et, l’artillerie confédérée ayant été à peu près réduite au silence, les corvettes avaient également remonté le fleuve. Au point du jour, lorsque l’on commençait à distinguer les combattans, quatorze navires fédéraux se trouvaient au-dessus des forts. Les autres étaient désemparés, mais aucun n’avait péri. La partie la plus difficile de l’entreprise de Farragut avait été accomplie en moins d’une heure ; la bataille cependant n’était pas encore gagnée. Par une chance heureuse pour les fédéraux, le Louisiana, arrivé le 20 au fort Jackson, avait éprouvé une avarie à ses machines, et Mitchell ne voulut pas engager ce navire ni même le placer de manière à soutenir les batteries des forts : il rendit ainsi inutiles les artilleurs, les canons de gros calibre et les munitions qu’il avait reçus pour armer son bâtiment. En dépassant les forts, Farragut avait laissé derrière lui la puissante machine sur laquelle ses ennemis fondaient tant d’espérances ; cependant ceux-ci avaient encore à lui