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considérable : c’était un pentagone régulier, ayant 150 mètres de courtine et commandant tous les environs, à l’exception d’une partie de la levée de la rive droite, qui, à 2 kilomètres plus en aval, était masquée par une épaisse forêt. Il était armé de soixante-quinze canons ; mais quelques-unes de ses meilleures pièces lui furent retirées et envoyées à l’île n° 10 par ordre des autorités de Richmond. Il avait d’assez grands abris blindés ; une partie de son artillerie était dans les casemates ; la garnison, qui aurait dû être de 2,500 hommes, n’en comptait guère que 1,500. Ces deux forts possédaient néanmoins un nombre suffisant d’artilleurs exercés pour servir, avec deux relais complets, les quatre-vingts pièces qui avaient vue sur le fleuve. Une batterie de terre, construite en face du fort Jackson, protégeait le point où la chaîne s’amarrait à la rive gauche ; mais au dernier moment deux gros canons rayés, qui venaient d’y être placés avec une peine inouïe, furent enlevés pour être mis à bord du Louisiana, où ils ne tirèrent pas un seul coup.

Depuis que le blocus avait interrompu la navigation au-dessous de la Nouvelle-Orléans, les bouches du fleuve s’étaient envasées, ajoutant ainsi une défense naturelle à toutes celles que nous venons de décrire. Lorsqu’en mars Farragut voulut entrer dans le Mississipi, il eut beaucoup de peine à faire passer ses corvettes sur la barre. La frégate le Colorado, qui tirait 22 pieds, fut obligée de rester en dehors, et la plus grande partie de son équipage fut répartie sur les autres navires. Ce ne fut que le 8 avril que, les corvettes le Mississipi et le Pensacola ayant enfin franchi l’obstacle, Farragut vit toute sa flotte réunie dans les eaux du grand fleuve. Dès le 28 mars, les positions ennemies avaient été reconnues, et le bord du bois qui couvre la rive droite au-dessous du fort Jackson fut choisi comme le meilleur poste pour les bateaux-mortiers. Retardée par le manque de charbon, la flotte se mit enfin en marche le 17 avril, tandis que Butler, arrivé de Ship-Island avec 9,000 hommes, attendait à l’embouchure l’issue de la lutte, pour débarquer ses troupes sur un terrain où elles pussent prendre pied. Tout le delta du Mississipi n’était à cette époque qu’un vaste et impraticable marais, et ces troupes ne pouvaient avoir d’autre tâche que de recueillir les fruits des avantages obtenus par la marine ; mais la crue du fleuve, qui paralysait les soldats fédéraux, leur rendait aussi bien des services. La petite armée de Lowell, inondée dans ses campemens, était exposée à toute sorte de souffrances, de privations, et les forts eux-mêmes étaient menacés par l’eau qui rongeait les terres friables sur lesquelles ils s’élevaient. Enfin le 11 avril le barrage avait été de nouveau fortement ébranlé, quoiqu’il en restât assez pour opposer aux fédéraux un obstacle difficile à franchir.