Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/75

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

canal du Charolais, aujourd’hui canal du Centre; elle se continue jusqu’au moment où l’on entrevit sans témérité la création d’un vaste réseau de chemins de fer. Pendant cette période de soixante ans environ, les meilleures routes ne permettaient pas de faire les gros transports à moins de 25 centimes par tonne et par kilomètre, tandis que la batellerie, qui marchait à peu près aussi vite que les voitures, avait des tarifs réduits à la moitié ou au tiers de cette somme. La voie fluviale avait donc l’avantage du bon marché sans rien perdre sous le rapport de la vitesse. Lorsqu’on s’aperçut, dès le début des chemins de fer, que ceux-ci pouvaient se contenter d’un prix aussi réduit que l’avait été jusqu’alors celui des canaux, il parut que ces derniers étaient inutiles. Comme on l’a déjà dit, les travaux de canalisation furent presque abandonnés, ou du moins ne se continuèrent que sur les rivières les plus importantes.

Par quelles phases était passée cependant l’industrie des transports fluviaux? Avait-elle progressé comme le reste? En tant que voie de transport, un cours d’eau a cela d’avantageux qu’il appartient à tout le monde, qu’il est accessible sur presque toute sa longueur et qu’il n’exige qu’un matériel peu dispendieux, à la différence des chemins de fer, auxquels il faut une exploitation d’ensemble bien organisée. Le marinier vit sur son bateau, qui lui sert à la fois de maison et de magasin; il en est le maître après Dieu, tout comme le capitaine d’un navire au long cours; il s’arrête quand il veut, prend et laisse du fret selon que l’occasion s’en présente. C’est en un mot la plus indépendante des industries. Cependant sur chaque rivière il y avait des usages établis à la longue, comme par exemple de construire les bateaux avec plus ou moins de largeur, plus ou moins de tirant d’eau, suivant que le permettait l’état du lit, et sans exception avec des formes lourdes et massives qui en augmentent la capacité utile, qui permettent de résister aux chocs, mais aussi qui ont l’inconvénient de ralentir la marche. Ces vieux types subsistent encore sans presque avoir été modifiés. Lorsque la machine à vapeur fut inventée, le matériel de la navigation s’améliora tout au moins sur les grands fleuves; mais en somme le progrès fut peu sensible. En effet, les moteurs mécaniques, hélice ou roues à aubes, ne conviennent guère sur les rivières étroites et sur les canaux, dont le remous détériore les berges ; puis la traction à la vapeur, si elle donne plus de vitesse, coûte aussi davantage. Le halage à la corde s’est donc continué, comme au temps jadis, tantôt avec des bêtes de somme, tantôt même avec des hommes, quelque fâcheux qu’il soit de voir des hommes se condamner à un métier pareil, qui ne demande aucune intelligence. Depuis vingt ans, un autre procédé de remorquage, le