qui tuent, et que ce sont elles qui les ont inventés ? Faut-il croire que la société est responsable de leurs perversités et de leurs fautes, que dans toute Dalila il y avait une sœur grise commencée ? Cela n’est pas prouvé, et en tout cas cela n’est point écrit dans mon Évangile. — Ce n’est pas seulement en parlant des femmes que M. Legouvé se laisse emporter par son enthousiasme jusqu’à faire quelque violence au sens commun ; il compromet ses thèses littéraires en les outrant. Il professe pour la tragédie un respect, une dévotion, que nous sommes tout disposés à partager. Polyeucte et Athalie sont assurément, de merveilleux chefs-d’œuvre, et il n’est pas donné au premier venu de faire une Médée ; mais le conférencier ne va-t-il pas un peu loin quand il déclare que la tragédie « est le plus noble aliment dont se soient jamais rassasiées les imaginations humaines, qu’elle ne mourra pas plus en France que ne s’éteindront le patriotisme, le dévoûment, le culte du devoir et l’amour de la liberté ? » Comprend-on bien ce que le patriotisme et l’amour de la liberté ont à voir dans Phèdre ou dans Bérénice ? et ne peut-on pas se représenter une société où régnerait le culte du devoir et où pourtant il ne se ferait point de tragédies ? Le seul devoir que nous connaissions en ces matières est de n’en point faire d’ennuyeuses, car de tous les ennuis le plus redoutable est l’ennui en vers et en cinq actes.
Nous avons dit qu’il y avait deux hommes dans M. Legouvé ; hâtons-nous d’ajouter que ces deux hommes n’en font qu’un, tant ils sont étroitement unis. Ils vont toujours de compagnie, ils s’entr’aident en toutes choses, ils se consultent et se concertent, et, quand l’un d’eux entreprend de faire une conférence, il ne lui échappe jamais un mot que l’autre ne puisse agréer. A-t-il à traiter quelque point de morale, M. Legouvé emprunte ingénieusement à ses pièces et aux pièces des autres des exemples et des preuves. S’occupe-t-il de littérature dramatique, il n’oublie jamais les intérêts sacrés de la morale, tant il est convaincu que le théâtre n’est pas seulement destiné à nous procurer les plus nobles ou les plus charmans plaisirs de l’esprit, mais qu’il joue un rôle important dans l’éducation des âmes et des sociétés, qu’il est une école, presqu’un temple. Aussi tient-il dans une haute estime tous ceux qui officient dans ce culte. Il ne craindra pas de dire par exemple que « Mlle Rachel a servi la muse tragique en prêtresse, et Mme Ristori en missionnaire. » Traitant si favorablement les comédiens, on ne peut s’étonner qu’il ait quelque bienveillance pour les auteurs ; il s’étudie en toute occurrence à combattre les préjugés qui courent à leur sujet, à donner de leur caractère et de leur mission l’idée la plus relevée, la plus auguste, — il lui est même arrivé de les assimiler aux astres et aux étoiles. Cherchant à faire comprendre à ses auditeurs « le phénomène singulier de la conception théâtrale, et comment les élémens du