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cultivé autrefois. Un jour, il a bien voulu nous enseigner comment il faut s’y prendre pour faire une pièce, et il y a si bien réussi que tous ses auditeurs rentrèrent chez eux la tête grosse d’un scenario de drame ou de comédie ; mais la plupart ont manqué de patience et ont accouché avant terme.

Dans sa conférence sur Samson, M. Legouvé nous a représenté cet artiste comme le type achevé du professeur. « Il en avait, nous a-t-il dit, le désintéressement, la foi, et ce que j’oserai appeler l’ardeur apostolique. » Ce mot a surpris, scandalisé quelques personnes, qui avaient peine à concevoir qu’un professeur de déclamation fût un apôtre. Ce que M. Legouvé a dit de Samson, on pourrait le lui appliquer à lui-même, — ce virtuose possède, lui aussi, l’ardeur apostolique. Il ne parle pas pour le plaisir de parler et de se faire écouter, plaisir délicieux, paraît-il, et que certaines gens préfèrent à tous les autres. Il parle pour persuader, pour convaincre, pour démontrer une thèse, pour faire la propagande des idées qui lui sont chères. Les apôtres sont de terribles hommes ; ils vont devant eux tête baissée, heurtant de front les erreurs, les préjugés, quelquefois le sens commun quand il se trouve par malheur sur leur chemin, ne s’occupant que de faire leur trouée, sommant l’univers de confesser que leur dulcinée est incomparable, indifférens au blâme, aux moqueries des incrédules, si sûrs d’avoir raison qu’ils se soucient peu de ce qu’on pourrait leur répondre, et que les intempérances de leur langage nuisent quelquefois à l’effet de leur prédication.

Quand M. Legouvé défend les femmes, dont il est l’ami par excellence, contre l’injustice des hommes, quand il les recommande à la bienveillance de la loi et à la protection de la société, son éloquence s’anime, s’échauffe, et il trouve des argumens dignes de nous toucher. Le mal est qu’il ne s’arrête pas à temps, qu’il en dit trop, et rien n’est plus froid qu’une exagération. — « Qu’est-ce que le devoir sans l’amour ? s’écrie-t-il, et qu’est-ce que l’amour, sinon l’âme même des femmes ? Que cette âme soit donc mêlée à la vie tout entière de la France ! qu’elle vivifie la famille ! qu’elle circule dans la société ! qu’elle pénètre dans tous nos conseils publics ! qu’elle attendrisse, qu’elle humanise, qu’elle réconcilie ! L’apostolat du monde moderne ne manquera ni de saint Pierre prêt à tirer le glaive, ni de saint Paul tonnant par la parole ; mais il lui faut aussi là voix touchante du disciple bien-aimé de Jésus, de celui qui a dit : Aimez-vous les uns les autres ! Divin saint Jean, tes seules héritières légitimes, ce sont les femmes. » Saint Jean protesterait peut-être contre une telle conclusion ; il n’est pas sûr qu’il acceptât toutes les femmes pour ses héritières légitimes, il réclamerait au moins le bénéfice d’inventaire. Il pourrait répliquer au conférencier : — Halte-là ! oubliez-vous qu’il y a des femmes qui ne savent pas aimer, et d’autres dont il est dangereux d’être aimé ? Oubliez-vous qu’il y a des amours