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qu’assista un jour Annibal, banni de Carthage. L’orateur avait pris pour thème les devoirs d’un général et les secrets de l’art militaire. Annibal dit en sortant qu’il était charmé d’être venu et n’avait point perdu son temps, qu’il savait désormais combien de sottises un homme d’esprit peut dire en une heure. Si nous n’avons pas inventé les conférences, du moins nous les avons perfectionnées. Nous ne voudrions pas jurer qu’il ne s’y dise plus de sottises ; mais la sottise est aujourd’hui moins imprudente ou moins impudente qu’autrefois, elle prend plus de précautions, elle s’entend mieux à sauver les apparences et à défendre son secret contre Annibal. Quant à ceux de nos conférenciers qui se font un devoir de ne jamais parler de ce qu’ils ignorent, il est possible qu’ils possèdent à un moindre degré que les sophistes de l’antique Grèce la musique de l’éloquence, le don de draper le discours et d’arrondir une période ; mais ils ont sur eux cet avantage, qu’il ne leur suffit pas de chatouiller agréablement les oreilles de leur public, ils se croient tenus, de l’instruire un peu. Les sciences d’expérience et d’observation, les études exactes et l’histoire naturelle, qui sont devenues populaires dans notre siècle, exercent à la longue une heureuse influence sur le goût littéraire ; elles finiront par nous dégoûter du faux, du creux, du théâtral et des rhéteurs. Un Tyndall, un Vogt, un Agassiz, ont démontré par leur exemple qu’on peut se passer de rhétorique pour intéresser et captiver les foules.

Certains censeurs moroses trouvent à redire à tout, même à cette récréation honnête et souvent utile qu’on nomme une conférence. Un ancien président de la république étoilée disait, en parlant du jeu des échecs, qu’il n’aimait pas : « Si c’est un plaisir, il est trop sérieux ; si c’est un travail, il ne l’est pas assez. » Ainsi raisonnent à peu près les ennemis des conférences. Les uns les rangent parmi les, plaisirs ennuyeux ; ils se plaignent qu’en vieillissant notre siècle est devenu pédant, qu’il a désappris à causer, qu’il ne sait plus que discourir, haranguer, disserter. Ils préfèrent pour leur part à toutes les harangues un quart d’heure de causerie avec un bon joueur de raquette, qui s’entend à renvoyer la balle, et ils donneraient volontiers pour une scène de comédie bien filée toutes les dissertations sur la littérature dramatique. Les gens que les conférences ennuient ne sont pas bien à plaindre ; il est un moyen très simple de ne s’y plus ennuyer, c’est de n’y pas aller. D’autres au contraire ne demanderaient pas mieux que d’y aller, s’ils ne se défiaient de la marchandise qu’on y débite ; à les entendre, c’est une marchandise de pacotille, bonne pour les badauds, et que rebute leur délicatesse. Les savans ont reproché plus d’une fois aux conférenciers de ravaler, de compromettre les études et les pensées sérieuses en les accommodant au goût et à la portée d’un auditoire de rencontre, qui demande à être amusé, — et on sait dans quel mépris les savans de profession tiennent la science amusante, les faiseurs de mots, les faiseurs de