coquine de femme que la sienne ! La fable est systématiquement ramenée aux proportions du fait divers ; les acteurs, dominés par les situations, n’y ont de relief que celui qu’ils empruntent à l’effacement de leur entourage, chacun d’eux, après l’autre, venant occuper toute la scène. Ni grands ni bons d’ailleurs, il ne faut pas que le lecteur puisse risquer de les admirer ou d’en garder un souvenir d’émotion reconnaissante, — ni vicieux, à proprement parler, ni passionnés dans le crime, ne sont-ce pas inventions de poète que la profondeur de perversion dans le vice et le délire dans la passion ? Les accidens de la vie ne les surprennent pas, surtout ils ne les dérangent pas de l’automatique régularité de leurs fonctions quotidiennes, et, quand ils pleurent, c’est sur le grand-livre. Pas une marque de sensibilité, pas un cri qui parte du cœur ; ils vont, au hasard du jour, comme un paisible bétail, enveloppés d’indifférence et d’ennui, si bien qu’on s’étonne par intervalles de les voir agir comme de la surprise d’un ressort qui casserait tout à coup dans quelque joujou mécanique. Naturellement, comme ils agissent, ils parlent, d’une langue incolore et triviale, incorrecte souvent, où vainement on chercherait, non pas certes une expression créée, mais seulement une émotion sentie. Eh bien ! il faut le dire, ce ne sont pas là des caractères réels, ce sont de pures caricatures. Il n’existe pas de cœur qui n’ait jamais battu, d’intelligence qui n’ait jamais pensé, d’imagination qui n’ait jamais rêvé. De même que le corps humain, s’il n’a plus sous nos climats du nord cette pureté de lignes qu’il avait sous le ciel de la Grèce, dégradé par la misère, déformé par le métier, plié par les civilisations modernes au joug des habitudes matérielles, conserve cependant quelque chose de la noblesse et de la dignité natives de la forme humaine, de même, passés au niveau de l’égalité démocratique, absorbés dans les exigences mesquines de la vie sociale, affairés à la poursuite sans trêve de la fortune et des satisfactions d’amour-propre, nous ne laissons pas que d’être encore des hommes, c’est-à-dire des êtres capables par l’élan passionné du cœur ou la force de la pensée de nous élever au-dessus de la réalité qui nous opprime. En quoi consiste donc l’espèce de plaisir que les plus grossiers éprouvent en face d’un mélodrame vulgaire, au bruit d’une musique tapageuse, à la vue d’un assemblage de vives couleurs sur la toile, sinon précisément de la diversion passagère qu’ils y trouvent au dégoût de l’existence et au dur labeur de la vie ? Comme si les soucis de la vie faisaient trêve un instant, et que, libre de toute contrainte, franche de toute entrave, l’intelligence fût un instant transportée dans un monde qu’elle se taillerait à sa fantaisie ! Cette protestation du sentiment et de la pensée contre le fait, cette ardeur du meilleur de notre être vers l’idéal, de quel droit enfin le réalisme l’efface-t-il du nombre de nos instincts, sinon du droit nouveau qu’il tire de son impuissance à la satisfaire et l’exprimer ?
Sans doute il faut partir de la réalité, puisqu’elle est le fonds même