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de l’estime, et qui ne consent que pour rendre à sa mère quelque chose du luxe qu’elles ont autrefois possédé. L’intrigue est d’ailleurs habilement conduite et le caractère envahissant de Mme Daliphare bien posé, mais le moyen, cette intervention du notaire apparaissant comme le dieu de la machine pour dénouer une situation que la logique des caractères poussait à quelque solution violente, n’est-il pas plutôt du vaudeville ou de la comédie que du roman ?

Ils sont mariés ; dès le retour du voyage de noces, la jeune femme tombe sous la tyrannie d’une belle-mère contre la domination de qui son mari, retenu par le respect filial et quelque reste aussi de crainte maternelle, ose à peine la défendre : il semble que ses premiers griefs sont toutefois bien légers. Sous prétexte qu’on est artiste, on ne prend pas sa belle-mère en haine parce qu’elle ne vous a pas donné chambre à part, — les reines et les bergères se marient, comme disait le latin, liberorum quærendorum causa, — ni même parce qu’elle aura meublé le vestibule d’acajou garni de velours d’Utrecht, je ne vois pas enfin qu’il y ait de quoi passer des « nuits affreuses à déchirer son mouchoir pour étouffer ses sanglots » parce qu’on vous demande, comme dit M. Malot, « d’assurer la perpétuité de la famille et de rendre à jamais votre mari heureux. » Cependant de jour en jour, à l’insu du mari, la mésintelligence, l’irritation, vont croissant entre la belle-mère et la bru. Sur l’entrefaite arrive un peintre de génie, Francis Airoles, qui devient en quelques jours l’amant de Juliette. Aux demi-révélations d’un vieux beau, Mme Daliphare a bientôt soupçonné l’intrigue ; elle s’en assure en recourant au plus vil espionnage, la fait brutalement connaître à son fils et l’envoie chercher lui-même la preuve de son déshonneur. Adolphe résiste d’abord, puis il cède, les surprend et les tue. Traduit en cour d’assises, acquitté, au sortir de l’audience il part avec son fils, pour ne plus revenir. « Vers dix heures, Pommeau fut obligé d’entrer dans le cabinet de Mme Daliphare, il en ressortit aussitôt la figure bouleversée. — Que se passe-t-il donc ? demandèrent les commis. — La patronne qui pleure… Elle est debout et ses larmes tombent goutte à goutte sur le grand-livre. — Elle pleure sur le grand-livre ! s’écria Lutzins, ça va faire des pâtés. » Nous ne doutons pas que M. Malot ne se soit complaisamment applaudi d’avoir trouvé ce mot de la fin : c’est un principe de l’esthétique réaliste qu’il convient de laisser le lecteur sur une boutade de gaîté misanthropique.

Voilà peut-être une longue analyse ; elle nous permettra de saisir à nu le procédé réaliste. Nous pouvons en effet remarquer que non-seulement M. Malot, avec une sollicitude inquiète, écarte de son intrigue tout ce qu’on y pourrait rencontrer de surprise et d’inattendu, mais encore qu’il prend soin de n’y faire jouer que des personnages scrupuleusement dépouillés de tout caractère et de toute originalité. Quel triste benêt de mari qu’Adolphe Daliphare ! quelle insignifiante et plate