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À quelque temps de là, il m’entendit me plaindre de l’irrégularité de la poste ; mes lettres, mes journaux, éprouvaient un retard intolérable. Quelle fut ma surprise, en arrivant un matin au bureau, de trouver ma table jonchée de paquets évidemment apportés par le courrier du jour, mais dont aucun ne m’était adressé ! Je me tournai vers Wan-li, qui me regardait avec une satisfaction sereine, et le priai de m’expliquer ce prodige. À ma profonde horreur, il me désigna du doigt un sac vide. Le facteur avait dit : — Point de lettres ! — Le facteur devait mentir. Il avait cru tout arranger en volant son sac dans la nuit. Heureusement ce n’était pas encore l’heure de la distribution ; j’eus une entrevue avec le maître de poste, et la tentative hardie de Wan-li fut étouffée. Tout resta secret à la condition que je fournirais un nouveau sac à dépêches.

Si mon goût pour le petit page païen que m’avait donné Hop-sing n’eût pas suffi, ma considération pour son digne protecteur m’aurait décidé encore à emmener Wan-li, lorsqu’après deux années je repris le chemin de San-Francisco. Il ne parut pas me suivre avec plaisir. J’attribuai ses sentimens à une peur toute nerveuse qu’il avait des foules, — quand il lui fallait traverser la ville pour quelque commission, il faisait toujours de longs détours par les faubourgs, — à l’horreur surtout que lui inspirait la discipline de l’école chinoise-anglaise, où je me proposais de l’envoyer, à sa prédilection pour la vie libre et vagabonde des mines, au pur caprice… — Longtemps après, la pensée me vint, hélas ! que ce caprice pouvait bien être un pressentiment. Tout semblait favoriser du reste mon projet de placer Wan-li sous des influences doucement dominatrices qui obtiendraient de lui ce que n’avaient pu obtenir mes soins irréguliers et superficiels.

Un missionnaire chinois, prêtre intelligent et bon, le reçut à son école et lui marqua de prime-saut beaucoup de bienveillance ; ce qui valait mieux que tout, le maître avait foi en son élève. Nous lui assurâmes un gîte dans l’intérieur honnête d’une veuve dont la fille unique était à peu près de son âge ; il était réservé à cette innocente et joyeuse enfant de faire vibrer chez Wan-li une corde que l’on ne soupçonnait pas et que tous les enseignemens de la société, tous les sermons des théologiens eussent laissée muette. Ces quelques mois pleins de promesses qui ne devaient jamais se réaliser durent être heureux pour Wan-li. Il avait voué à sa jeune amie un culte aussi ardent, mais beaucoup moins capricieux que celui dont était l’objet son petit dieu de porcelaine. C’était son bonheur de marcher derrière elle jusqu’à l’école en portant ses livres, service qui lui valait pourtant plus d’un horion de la part de ses condisciples chrétiens. Il lui fabriquait des jouets incomparables, tels que poulets en graines de melon, roses et tulipes taillées dans des navets ou des carottes,