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indienne qui, entrée par la fenêtre, décrivit plusieurs cercles diaboliques, éteignit la lumière, l’atteignit à la joue, puis sortit comme elle était venue pour retomber au milieu de la cour.

Toute la journée, des lambeaux de papier sales et chiffonnés, qui représentaient le dernier numéro de l’Étoile du Nord, me furent apportés avec assaisonnement de réclamations et de reproches. — Une étude admirable sur les Ressources du comté de Humboldt, que j’avais préparée le soir précédent, et qui, selon toute apparence, aurait changé la face des affaires durant l’année qui suivit, en ruinant le commerce de San-Francisco, fut de cette façon perdue pour le public.

Il fut jugé prudent de confiner Wan-li à l’imprimerie. Là il fit preuve d’aptitudes surprenantes, gagnant jusqu’à la bienveillance du prote et des compositeurs, qui avaient d’abord désapprouvé son initiation aux secrets de leur art. Il en apprit du premier coup la partie mécanique, aidé par le merveilleux talent de manipulation qu’il possédait ; son ignorance de la langue semblait du reste le servir plutôt qu’elle ne l’entravait, confirmant cet axiome d’imprimeur, que quiconque cherche à suivre les idées du manuscrit ne fait jamais rien qui vaille. Par exemple, il reproduisait délibérément de longues diatribes contre lui-même, inventées par ses camarades et attachées à son crochet en guise de copie. Quelquefois ce n’étaient que de brèves sentences telles que celle-ci : « Wan-li est le suppôt du diable. Wan-li est une canaille mongole. » Il m’apportait triomphalement l’épreuve, le sourire sur les lèvres et dans les yeux.

Wan-li ne tarda pas cependant à exercer des représailles contre ses persécuteurs ; je me rappelle entre autres une vengeance qui faillit me coûter cher. Le nom de notre prote était Webster ; or Wan-li apprit à reconnaître les lettres individuelles et combinées de son nom. C’était pendant une campagne politique, et le bouillant colonel Starbottle, de Siskyou, avait prononcé un discours que l’Étoile du Nord obtint le droit spécial de reproduire. Dans sa péroraison sublime, le colonel avait dit : « Je répéterai avec le divin Webster… » Suivait une citation que j’oublie, empruntée au grand homme d’état. Or il arriva que Wan-li, jetant les yeux sur la galée après qu’elle eut été corrigée, reconnut le nom de son persécuteur et supposa naturellement que cette citation devait être de lui. Il mit à profit l’absence du prote pour y substituer une pièce de plomb très mince, de la même dimension, et gravée de caractères chinois qui composaient une phrase injurieuse, j’ai lieu de le croire, à l’adresse de la famille Webster en général.

Le journal du lendemain apprit donc au public que le divin Webster avait une fois exprimé sa pensée en chinois excellent sans