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temps d’arracher la première victime, que la seconde, son sauveur, Cyrus Hawkins, avait été frappé, englouti à sa place.

Pendant deux heures, il resta gisant sous les yeux de tous, immobile, écrasé, une poutre énorme en travers de la poitrine ; aucune plainte ne lui échappa. Les mineurs s’acharnaient avec frénésie à sa délivrance. — Des haches ! crièrent-ils tout à coup. — L’un d’eux levait déjà la sienne contre une grande pièce de charpente plantée debout, qui obstruait le passage, quand le mourant cria faiblement : — N’y touchez pas !

— Pourquoi ?

— Toute la galerie s’effondrerait ; c’est un des fondemens de ma maison.

La hache tomba de la main du travailleur, qui se tourna vers les camarades en faisant un geste désespéré. Ce n’était que trop vrai. Ils se trouvaient dans la galerie supérieure, et l’écroulement avait eu lieu juste au-dessous de la maison neuve.

Après un silence, le fou parla de nouveau avec plus de peine encore, semblait-il. — La dame ! amenez la dame… Dépêchez-vous.

Ils l’amenèrent défaillante, pâle comme la mort, les yeux ruisselans de larmes, puis reculèrent avec respect, tandis qu’elle se penchait au-dessus de lui pour recueillir ses dernières paroles articulées tout bas.

— Elle a été bâtie pour vous, Annie, pour toi, ma bien aimée,… et elle nous attendait tous les deux depuis de si longs jours ! Elle vous appartient, Annie, vous y vivrez… avec lui ! Il ne se plaindra pas que je sois toujours près de vous, puisque j’y serai… mort…

Quelques minutes après il avait rendu l’âme en effet ; on le laissa où il était, une torche allumée à ses pieds, une autre à sa tête. Ses camarades veillèrent toute la nuit, le lendemain la galerie fut murée comme une voûte funèbre, mais on n’y traça aucun nom, se fiant au monument qui s’élevait au-dessus, brillant et joyeux, sous les rayons du soleil, pour annoncer, comme un signe de vie, de lumière et d’espérance, que c’était là le tombeau du fou.