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la philosophie antique a enseigné dans plusieurs de ses plus grandes écoles comme la loi suprême de l’univers. Où donc est la différence entre la physique et la téléologie ? C’est que l’une est une science exacte et positive, et l’autre une science philosophique, c’est-à-dire que l’une est autorisée à employer l’expérimentation et le calcul, tandis que l’autre ne dispose que du raisonnement et de l’analogie. L’une arrive donc à la certitude, tandis que l’autre ne peut aspirer qu’à la probabilité. En effet, si les lois de la nature ne sont autre chose que les « constantes » des phénomènes, on peut s’assurer par l’expérience de l’existence de ces constantes; mais un dessein n’existe que dans l’intention ou la pensée de celui qui agit, et comment puis-je par l’expérience entrer dans cette pensée même, surtout s’il s’agit de la première cause, éternellement voilée derrière les phénomènes du monde ? Je ne puis donc ici avoir recours qu’à l’interprétation, au déchiffrement de certains signes, à la comparaison entre ce que je connais d’une œuvre faite avec art et les œuvres de la nature, et on comprend alors comment la multiplication des exemples est importante, car un cas isolé peut être fortuit, mais une multitude innombrable de cas ne peut pas l’être, — et ici c’est le nombre même qui fait la force de l’induction.

Si la théorie des causes finales est obligée de se défendre contre l’imposante autorité de Descartes, elle peut en revanche se recommander d’une autorité non moins puissante, celle de Newton. « Le principal objet de la philosophie naturelle, dit ce grand homme, est de remonter des effets aux causes jusqu’à ce qu’on arrive à la première cause de toutes, laquelle certainement n’est pas mécanique, et non-seulement d’expliquer le mécanisme du monde, mais surtout de résoudre des questions telles que celles-ci : d’où vient que la nature ne fait rien en vain, et d’où naissent cet ordre et cette beauté que nous voyons dans l’univers  ? Comment se fait-il que les corps des animaux soient faits avec tant d’art, et pour quelles fins ont été disposées leurs diverses parties ? L’œil a-t-il été formé sans la science de l’optique et l’oreille sans la connaissance de l’acoustique ? » À ces questions profondes, Newton répondait qu’il existe un être incorporel, vivant, intelligent, omniprésent, qui dans l’espace infini, comme dans son sensorium, voit les choses en elles-mêmes, les perçoit dans leur intégrité, les comprend pleinement parce qu’elles lui sont immédiatement présentes, tandis que les images seulement en sont transmises à nos sens par la perception. Dieu pour lui était non pas seulement l’âme du monde, mais le seigneur universel, παντοϰράτωρ. La domination de l’être spirituel constitue Dieu, et Dieu à son tour, en tant qu’il dure et existe partout et toujours, constitue l’espace et la durée. L’unité de la personne humaine n’est qu’une image de l’unité de Dieu. Dieu est tout entier