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anglais en général se montrent peu accessibles à ce que l’on appelle dans l’école les preuves a priori de l’existence de Dieu. Au contraire, la théologie expérimentale y a toujours été en honneur, et l’on formerait toute une bibliothèque des écrits publiés depuis Wray et Boyle jusqu’à nos jours pour démontrer l’existence de Dieu par les merveilles de la nature.

M. de Rémusat mentionne ces ouvrages avec estime, mais non peut-être sans quelque nuance de dédain. Il sera permis d’être moins sévère que lui pour ce genre de littérature, sans méconnaître toutefois ce qui manque de critique à ces savans et utiles ouvrages. La téléologie[1], comme on l’appelle, ou théologie physique, n’est pas seulement, à ce qu’il nous semble, le développement d’une même preuve toujours ressassée, à laquelle on ne fait qu’ajouter indéfiniment de nouveaux détails; c’est une science, la science de la finalité. Comme toute science n’a qu’un objet unique, toujours le même, qu’elle étudie dans toutes ses manifestations, il n’y a rien de surprenant à ce que la science de la finalité multiplie indéfiniment les faits de finalité. Ces faits, dit M. de Rémusat, ne servent qu’à prouver une chose, et toujours la même : « il y a du dessein dans la nature. » Ne pourrait-on pas dire de même que la physique se contente d’accumuler des faits pour démontrer cette vérité banale, « il y a des lois dans la nature? » Outre que cette vérité ne saurait jamais être trop prouvée, n’y a-t-il pas un intérêt véritable à connaître de nouvelles lois, et de plus en plus particulières? Pourquoi, en vertu de la même raison, ne chercherais-je pas à savoir non-seulement qu’il y a un dessein en général dans la nature, mais encore quels sont les signes, les espèces et les degrés par lesquels se manifeste ce dessein universel, ou, si l’on veut parler avec la rigueur absolue de la critique, quelles sont les formes de combinaisons dans la nature qui ressemblent le plus à des desseins ? Il faut bien le dire, il y a telle de ces combinaisons qui excitera toujours plus d’étonnement et d’admiration que la loi physique la plus certaine et la mieux établie. Plus je compare la théologie et la physique, plus je leur trouve d’analogies, car, si nous sommes autorisés à descendre la série des causes aux effets, pourquoi ne le serions-nous pas à remonter, dans la mesure du possible, des moyens aux buts? et si la succession des causes secondes nous conduit à la conception de la cause première, pourquoi la succession des fins secondes ne nous conduirait-elle pas à une fin dernière, identique, selon toute apparence, à la première cause ? La physique et la téléologie représenteraient ainsi ce double mouvement d’éloignement et de retour, du centre vers la circonférence et de la circonférence vers le centre, que

  1. La science des buts, de τέλος, but, cause finale.