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que le dogme d’Anus n’était pas une hérésie. Aussi ne lui ménage-t-on pas les soupçons et les imputations de socinianisme. Un de ses adversaires, croyant lui faire injure, l’appelait «un homme de raison, » a man of reason. C’était en effet un homme de raison qui écrivait ces mots : « Je suis assuré que Dieu nous a donné notre raison pour discerner la vérité du mensonge. Quant à celui qui n’en fait nul usage et croit aux choses sans savoir pourquoi, je dis que c’est par hasard que ce qu’il croit est vérité, non par son choix, et j’ai grand’peur, je l’avoue, que Dieu n’accepte pas ce sacrifice des sots. » Autour de Chillingworth se groupèrent un certain nombre d’esprits élevés et distingués, entre autres John Hales d’Eton, que ses amis appelaient « le docteur mémorable, » et c’est à cette tendance que se rattache plus tard, sous Charles II, le groupe des philosophes et des théologiens de Cambridge, que nous avons mentionné.

À côté des théologiens, il faut nommer les savans, car c’est presque toujours entre ces deux groupes que se partagent les philosophes en Angleterre. À cette époque surtout, la philosophie n’avait pas encore rompu avec la science. Parmi les savans qui ont touché à la philosophie, deux noms se distinguent entre tous, celui de Robert Boyle et celui de Newton. Le premier, sans être l’égal de Newton, n’en était pas moins un savant de premier ordre, dont le nom est resté dans la science, et qui doit encore être mentionné comme le fondateur de la Société royale de Londres. En philosophie, R. Boyle mérite de ne pas être oublié pour sa discussion contre Descartes en faveur des causes finales, que celui-ci, aussi bien que Bacon, avait proscrites et discréditées. Il reconnaît que la science ne doit pas sacrifier la recherche des causes efficientes à celle des causes finales; mais il maintient que celles-ci ne peuvent être méconnues, notamment dans les êtres organisés. « Il y a incomparablement plus d’art, disait-il, dans la patte d’un chien que dans l’horloge de Strasbourg. » C’est encore lui qui nous raconte qu’ayant un jour demandé à Harvey comment il avait découvert la circulation du sang, celui-ci lui répondit que c’était en réfléchissant sur la disposition des valvules des veines, n’ayant pu penser que cette disposition eût été faite sans dessein. Un autre ouvrage de Boyle, intitulé le Virtuose chrétien (the Christian Virtuoso), a précisément pour but de s’appuyer sur la science pour s’élever à la religion. Dans le même ordre d’idées, un autre savant, John Wray ou Ray, publiait un livre qui depuis a servi de type à d’innombrables ouvrages écrits dans le même dessein sous ce titre : la Sagesse de Dieu manifestée par la création. Ce genre de démonstration, comme l’a fait remarquer ailleurs M. de Rémusat, devait particulièrement toucher une nation qui aime à fonder toute connaissance certaine sur l’expérience et l’induction. Les philosophes