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longtemps à l’attention un peu jalouse de ses voisins. Le soin même qu’il prenait d’écarter les troupeaux de ses semis était un indice révélateur de ses espérances : bientôt son homonyme, le fils d’Antoine, eut aussi ses chênes à truffes ; puis vinrent Étienne Carbonnel et Vaison, du hameau de Clavaillant ; enfin, le procédé devenant public, l’application s’en fit peu à peu tout autour d’Apt, par exemple sur les contre-forts du mont Luberon, sur le territoire de Buoux, où M. le président Guillibert et M. Étienne Bonnet, le premier en 1834, le second en 1835, firent leurs premiers semis. Tout près de là, M. Jacques Agnel, du hameau des Agnels, commune d’Apt, inaugurait dès 1839 ses cultures de chênes à truffes, aujourd’hui des plus étendues et des plus productives de la région ; elles ne couvrent pas moins de 28 hectares, dont 21 ont exigé, comme frais de plantation, une avance de 4,000 francs ; je dis plantation, car c’est de ce procédé que s’est servi M. Jacques Agnel. Il avait essayé d’abord des semis, et, voyant que les glands ne levaient pas, il s’aperçut que les alternatives du dégel, soulevant ou laissant s’affaisser la croûte du sol, cassaient les tigelles naissantes des jeunes pieds en germination. Ainsi se formait par degrés dans la région d’Apt une véritable école de trufficulture, prélude modeste de la révolution qui se préparait dans tout le territoire du Comtat et des départemens limitrophes. Pendant bien des années, cette culture reste confinée dans un rayon très étroit autour du hameau qui l’avait vue naître. Le jour vint pourtant où la renommée en proclama l’importance, et, comme il arrive souvent en pareil cas, le nom du vulgarisateur jeta dans l’ombre celui de l’inventeur. Un grand négociant de truffes de Carpentras, M. Rousseau, frappé des succès de Joseph Talon, eut l’idée de transformer en truffière artificielle, par des semis de chênes verts, une terre dite Puits-du-Plant, située aux portes de Carpentras. Ce terrain ingrat ne donnait en seigle que 180 francs à l’hectare, paille comprise, soit 90 francs pour la part du propriétaire et autant pour le métayer : humecté par les écoulemens d’eaux voisines, le sol, formé de cailloux roulés siliceux et calcaires, unis par un ciment naturel et reposant sur un sous-sol de poudingue presque imperméable, dut postérieurement aux semis des chênes être drainé par des canaux d’assainissement sur une longueur de plus de 1,000 mètres. Les premiers semis faits en 1848, ou, pour être plus exact, en novembre 1847, sur 2 hectares, le furent en lignes espacées de 4 mètres et orientées dans le sens du nord au sud ; en 1850, 2 hectares 1/2 furent semés avec des espacemens de 5 à 6 mètres entre les lignes, permettant l’intercalation de rangées de vignes. La distance entre les pieds de chêne d’une même ligne n’étant que de 1m,50 à 2 mètres, c’est-à-dire beaucoup trop faible, M. Rousseau