Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/65

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les principes de la religion en les développant avec une méthode toute philosophique. Ils étaient aussi ennemis de la superstition que de l’enthousiasme (c’est-à-dire du papisme que du puritanisme). »

Entre ces différens noms, il en est deux surtout dont l’histoire de la philosophie a gardé le souvenir, non qu’ils soient au premier rang, mais on peut les considérer comme des plus distingués au second : ce sont Cudworth et Henri Morus. Le premier était un homme d’une érudition prodigieuse, appartenant encore au XVIe siècle par la méthode, quoiqu’il fût bien du XVIIe par les lumières et par la largeur de l’esprit. Il admet entièrement les résultats de la philosophie de Descartes et de Gassendi, qui, séparés sur tant de points, s’entendaient cependant pour expliquer mécaniquement tous les phénomènes de l’univers sensible. C’est ce que Cudworth appelait la philosophie corpusculaire; mais en même temps, par une sorte d’anticipation des critiques de Leibniz, il reprochait à Descartes de n’admettre aucun intermédiaire entre l’étendue et la pensée, entre le mécanisme et l’esprit, et, insistant sur les phénomènes de l’instinct, sur ce qu’on appelle aujourd’hui « l’inconscient, » il rétablissait entre les corps et les esprits, et même entre Dieu et l’univers, des entités actives qu’il appelait des natures plastiques, et dont Leibniz a reconnu la parenté et l’affinité avec ses propres monades. Enfin il couronnait cette cosmologie éclectique par une métaphysique platonicienne. Henri Morus, de son côté, célèbre comme correspondant et contradicteur de Descartes, admettait cependant sa physique et une partie de sa métaphysique, et fut un de ceux qui en introduisirent la doctrine en Angleterre; cependant il la subordonnait, comme Cudworth, à une tendance platonicienne, ou plutôt néoplatonicienne, et, moins réglé que ce dernier, il s’abandonnait parfois à toutes les rêveries de la secte cabalistique.

En théologie, les philosophes de Cambridge appartenaient au parti de la tolérance et d’une sage piété. Adversaires décidés de l’athéisme, ils s’accommodaient d’une théologie libre, éclairée, pas trop dogmatique. On les accusait de pencher vers les dogmes des latitudinaires. Le latitudinarisme était un nom que l’on donnait alors à une manière large de penser en matière de religion. Celui qui passe pour le chef de cette école était un théologien, fort oublié, mais que Tillotson et Locke célébrèrent comme l’un des premiers hommes de leur temps, et que l’on appelait alors l’illustre Chillingworth. Contemporain de Charles Ier, ami de lord Falkland, joignant les talens d’ingénieur à ceux de théologien, il prit part à la guerre civile, dans le parti du roi, fut fait prisonnier à la bataille de Newbury, et mourut quelque temps après à Chichester. Chillingworth poussa très loin la liberté d’esprit en théologie. Il osait écrire