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stériles ; les esprits curieux, auxquels le vrai sourit encore plus que l’utile, suivront peut-être avec intérêt des tentatives faites pour résoudre le problème, en apparence si simple, en- réalité si difficile, de multiplier les truffes au moyen des germes dont leur substance est farcie. Avant d’en venir à ce nœud de la question, essayons d’abord d’en poser nettement les termes en écartant les idées fausses dont vingt siècles de préjugés l’ont encombrée.


I

En véritables naturalistes, Aristote et son disciple Théophraste n’hésitent pas à reconnaître la nature végétale et l’autonomie de la truffe. Ce dernier surtout réfute d’avance l’idée que ce puisse être une racine. Sans connaître les graines, il en suppose l’existence ; les truffes, assure-t-il, ne croissaient à Mitylène qu’à la suite d’inondations pouvant y porter de Tiaris les semences de ces productions souterraines. L’explication est peut-être fausse, mais l’idée qui s’y rattache est restée juste ; seulement il a fallu plus de deux mille ans d’attente pour que l’œil découvrît ces germes que l’esprit avait pressentis.

Compilateur infatigable, écho fidèle de tous les préjugés de son temps, Pline, tout en copiant Théophraste, hésite beaucoup à reconnaître la truffe pour un corps vivant. Il y voit plutôt une agglomération de terre altérée, un excrément de la terre, vitium terrœ, opinion étrange qu’il a de la peine à faire cadrer avec la faculté qu’a ce produit de pourrir « comme du bois. » Son argument principal pour concevoir que la terre s’agglomère en truffe, c’est l’accident survenu au préteur Lartius Licinius : celui-ci, gouverneur de Carthagène en Espagne, se serait presque arraché les incisives en mordant sur une truffe qui contenait un denier. L’intrusion d’un corps étranger dans le tissu vivant d’un champignon est chose fréquente et qui surprendrait peu les botanistes. Ils savent comment les agarics, les bolets, englobent dans leurs tissus les brins d’herbe, les cailloux : la truffe elle-même est parfois comme traversée par des racines qui ne contractent avec elle aucune adhérence organique, et qu’elle a comme avalées dans le cours de son développement. C’est du reste probablement à Plutarque, autre écho des préjugés populaires, que Pline emprunte l’idée de la corruption de la terre comme origine de la truffe. Un passage des Symposiaques ou Propos de table du crédule auteur attribue la formation des truffes dans le sol à l’action combinée du tonnerre, de la chaleur et de l’eau, produisant dans les entrailles de la terre « des nœuds et pelotons mois et friables, comme aux corps humains se produisent