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III

Je ne sais s’il est une figure plus originale que celle de ce soldat d’élite qui a eu la singulière fortune d’être mêlé à des événemens pour lesquels il n’était pas fait, et que les représailles de l’esprit de parti poursuivent depuis quelques années pour ces six mois d’un pouvoir douloureux et poignant. C’est une des victimes des dernières catastrophes, et on en fait un accusé. Est-ce un ambitieux politique et militaire qui a cherché un rôle dans une révolution ? Il n’a eu le commandement que dans le péril, il s’est dérobé à la vie publique quand la crise a été passée. Est-ce un orgueil impatient et déçu ? Il a eu la carrière la plus brillante, la plus favorisée depuis le jour où il était signalé dès sa jeunesse comme un espoir de l’armée par celui dont il était alors l’élève préféré, le maréchal Bugeaud. Il a refusé les honneurs, les dignités, les décorations, le titre même de maréchal de France que M. Thiers voulait lui donner au mois de mars 1871 dans la pensée d’honorer, de relever en lui le siège de Paris.

La vérité est que le général Trochu a eu tout simplement le malheur d’être jeté dans une tempête qu’il avait prévue, qu’il n’a pas pu dominer, et où il est resté un personnage militaire à part, assez compliqué, méticuleux, si l’on veut, subtil, un peu préoccupé de lui-même, disposé quelquefois à prendre des proclamations pour de l’action, mais en même temps instruit, supérieurement doué, ayant presque jusqu’au raffinement l’honneur du soldat, l’indépendance du caractère, la probité de la vie. Placé entre l’empire en déclin et une révolution inévitable, attaché à un navire en perdition, l’ancien gouverneur de Paris n’a pas réussi là où le succès était impossible, et naturellement il a vu se déchaîner contre lui les défenseurs du régime impérial, qui n’avaient pas su même se servir de sa popularité, et les Parisiens, qui avaient cru trouver en lui un sauveur. Il a connu l’impopularité, sans comprendre peut-être toujours ces mobilités d’opinion à l’égard d’un homme qui a cru faire son devoir sans songer au succès, et après avoir eu un rôle exceptionnel ira certes offert l’exemple le plus rare : il s’est réfugié simplement dans la retraite la plus modeste, sans fortune et sans éclat. Député, il a quitté l’assemblée, où il n’est resté que jusqu’après la discussion sur la loi de réorganisation militaire ; officier renommé pour ses services et pour son intelligence, il est sorti avant l’âge de l’armée, se détachant volontairement, selon son expression, de tout intérêt d’ambition et de carrière. Celui qui avait été le chef de la défense de Paris, de ce siège