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« La nature confond les pyrrhoniens, » mais il recherchait les caractères de ces vérités premières fondamentales, et il les signalait à peu près tels que Kant ou Reid les ont désignés plus tard : c’étaient suivant lui la priorité, l’indépendance, l’universalité, la certitude, la nécessité, enfin le caractère immédiat et intuitif de l’apparition de ces vérités dans la conscience. Il anticipait d’une manière plus remarquable encore sur la doctrine de Kant en disant que « ces principes, bien loin de dériver de l’expérience, sont tels au contraire que sans eux, ou tout au moins sans l’un d’entre eux, l’observation et l’expérimentation seraient impossibles. » Tels sont les traits généraux de la psychologie et de la métaphysique de sir Herbert. Quant à sa philosophie religieuse, elle se ramène à cinq maximes fondamentales qui sont, suivant lui, la base et le critérium de toute religion, et qui composent le credo de ce qu’il a appelé la religion des laïques. « Cette église des notions communes » est la seule qui ne puisse errer, « hors d’elle point de salut. » Sir Herbert ne s’inscrit point en faux contre la religion positive, mais il incline toujours à l’interpréter dans le sens le plus rationnel, le plus humain. Sa philosophie religieuse pouvait, aussi bien que celle de Locke, prendre le nom de christianisme raisonnable.

Le nom le plus illustre qui termine cette première période est celui de Hobbes. La doctrine de ce philosophe est si connue que nous n’avons pas à y insister dans un travail consacré surtout aux noms ignorés et à ce que M. de Rémusat appelle les dii ignoti de la philosophie anglaise. Contentons-nous de rappeler le rôle important et l’influence considérable de Hobbes au XVIIe siècle, influence bien plus grande que celle de Bacon lui-même, — non que Hobbes ait eu à proprement parler une école; c’est au contraire par voie d’opposition et de contradiction qu’il a provoqué tous les débats qui se sont élevés sur la morale et même sur la théodicée dans la seconde partie du XVIIIe siècle. Non-seulement en Angleterre la grande école de Cambridge, dont Cudworth est le chef, non-seulement Clarke, Cumberland, Locke lui-même ont écrit pour le combattre, le réfuter, ou bien encore pour reprendre ses idées en les modifiant; mais en dehors même de l’Angleterre, les plus grands esprits ont eu en philosophie morale et religieuse sa doctrine devant les yeux. Grotius le réfutait indirectement en fondant la science du droit naturel et du droit des gens. Spinoza, tout en le côtoyant par des opinions très analogues, tient cependant à s’en séparer, et à spécifier les points de dissentiment. Leibniz pense souvent à Hobbes : c’est à lui qu’il fait allusion dans sa Théodicée lorsqu’il dit « qu’on a eu recours à la puissance irrésistible de Dieu, quand il s’agissait plutôt de faire voir sa bonté suprême, et qu’on a employé un pouvoir despotique au lieu d’une puissance réglée par la sagesse. » Hobbes a donc eu