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l’armée française allait recevoir les derniers sourires de la fortune qu’elle ait connus, où les esprits réfléchis commençaient à démêler jusque dans la victoire l’insuffisance de l’organisation, l’altération croissante des mœurs et des institutions militaires. Elle est apparue surtout à travers les tragiques déceptions du Mexique, puis bientôt dans cette autre guerre qui ne nous regardait pas, a dit M. de Bismarck, qui, en créant une puissance nouvelle au cœur de l’Europe, révélait à la France l’inégalité de ses forces, le danger qui venait de naître pour elle. Cette vérité importune, accusatrice, elle se dérobait alors sous les ostentations et les illusions du règne, sous les fictions et les complaisances de la flatterie. Les coryphées et les habiles s’indignaient ou s’étonnaient lorsque dès la fin de 1866 un homme portant l’épée osait excuser ou expliquer les défaites du général autrichien Benedek, en ajoutant ce mot prophétique : « Je défends Benedek comme il faudra défendre un jour tous les généraux français, car un jour nous serons tous des Benedek, victimes de la détestable organisation militaire de notre pays… » Les orateurs du gouvernement se montraient pleins de dédain lorsqu’un député disait devant le corps législatif : « Si vous n’y prenez garde, on vous conduira avant longtemps à une guerre du Mexique en Europe. » Le vertige emportait ce monde officiel, qui, plutôt que d’avouer le mal, plutôt que de le constater par une étude sévère et de l’attaquer par des réformes sérieuses, préférait s’abuser lui-même, abuser la France, en se flattant d’avoir fixé la fortune.

Il a fallu l’excès des désastres, la guerre déchaînée par la présomption, l’empire de la veille s’effondrant dans la défaite et dans une révolution, la paix extérieure rachetée par un démembrement, la paix sociale livrée à la fureur des luttes civiles, il a fallu tout cela pour ramener une nation désabusée devant la vérité nue et sinistre. Assurément à l’issue de ces effroyables orages, guerres, invasions, révolutions de désespoir national, il y a une chose qui passe avant tout. La première nécessité est de s’arracher aux étreintes mortelles, de retrouver une sorte de vie régulière avec l’indépendance. Le second mouvement, inséparable de l’œuvre de réparation nécessaire et immédiate, c’est de chercher à se reconnaître au milieu de tant de ruines si promptement accumulées. Le malheur réveille la prévoyance endormie dans les fictions de prospérité, et c’est encore la sagesse des vaincus de ne plus se payer d’illusions, de s’éclairer de leurs revers, d’en interroger l’origine, les caractères, la moralité.

De quels élémens se composent ces formidables crises où ont sombré des gouvernemens, entraînant avec eux la fortune de la France ? Par quelle série d’erreurs, de faux calculs, de déviations,