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annuel le chiffre de 428,000 habitans, et aujourd’hui on calcule que Saint-Louis renferme, comme Chicago, environ 500,000 âmes.

Il est peu de villes en Amérique aussi bien situées que celle-ci : elle est au milieu de la vallée mississipienne, elle se trouve à égale distance de l’extrémité des grands lacs et du golfe mexicain, des rivages atlantiques et du flanc des Montagnes-Rocheuses, au centre d’un cercle de 900 milles de rayon, elle a enfin autour d’elle pour s’étendre un champ préparé comme à dessein. Alors que New-York étouffe dans son île rocheuse de Manhattan, que Philadelphie est confinée dans une plaine basse entre la Delaware et le Schuylkill, Washington sur un plateau sableux et stérile, Chicago dans une prairie marécageuse, Cincinnati au pied de coteaux pierreux, Saint-Louis peut se développer à volonté dans une campagne ravissante qui va s’exhaussant peu à peu en quittant la berge du Mississipi, et que des collines ondulées, couvertes de forêts, limitent seules à l’horizon lointain. Aucune ville aux États-Unis ne présente un coup d’œil aussi magique que celle-ci, quand on parcourt le milieu environnant, baigné par le grand fleuve qui y promène majestueusement ses ondes. La ville est assise sur un lit de calcaire et d’argile qui lui donnent tous les matériaux dont elle a besoin pour ses nombreuses bâtisses et lui permettent d’ouvrir partout des puits d’eau vive. L’eau descendue des collines est emprisonnée dans un vaste bassin ; celle du Mississipi est elle-même recueillie dans des réservoirs où elle se filtre, et de là répandue abondamment par d’énormes pompes à vapeur sur toute la cité.

Le caractère des habitans de cette ville heureuse a conservé comme une marque de leur première origine. Les Français y sont assez nombreux, et parmi les descendans des anciens colons on retrouve un je ne sais quoi de distingué, de poli, comme un reste de vieille urbanité qui s’est cantonné dans ce centre populeux de l’Amérique. On ne relève rien de pareil dans nulle autre ville, sauf dans certains états du sud, à la Nouvelle-Orléans par exemple, dont les femmes créoles ont un renom d’esprit, d’élégance et de beauté qu’elles méritent de tous points, tandis que dans les villes de la Nouvelle-Angleterre une réserve puritaine, une sorte de pédanterie et de raideur britannique amoindrissent, surtout chez les femmes, les meilleurs dons naturels. A Saint-Louis, les Chouteau, les Laclède et d’autres, considérablement enrichis à la suite des incroyables développemens qu’a pris la petite colonie que leurs pères fondèrent il y a un siècle, ont longtemps donné et donnent encore le ton à la cité, l’exemple des bonnes manières. C’est quelque chose d’analogue à ce qui a eu lieu à New-York jusqu’à ces derniers temps dans les familles des knickerbockers, ces descendans des premiers