Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/577

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

me dit-il, il y a quarante ans que je suis venu ici pour la première fois, je n’ai jamais quitté la ville. Nous en avons vu de belles, allez, pendant tout ce temps, et le feu ne nous a guère épargnés ; mais mon hôtel s’est toujours relevé à la même place avec le même nom, et s’est chaque fois agrandi. »

Il m’a été donné de voir à l’œuvre les citoyens de Chicago au milieu d’une de ces calamités qui ne les visitent que trop souvent. Le 13 juillet 1874, dans la nuit, un nouvel incendie éclatait dans la ville. J’arrivai le un au matin, de très bonne heure, par le train de Cincinnati, d’où j’étais parti la veille au soir, presqu’à la même heure où le feu prenait à Chicago. Une lampe à pétrole s’était, disait-on, renversée dans une de ces bicoques comme il n’en reste que trop dans cette ville, où se coudoient partout le luxe le plus effréné et la misère la plus abjecte. Par suite de la chaleur et de la sécheresse de l’été, le bois dont sont bâties ces cahutes s’enflamme comme une allumette. On avait fait effort de tous côtés pour arrêter le feu, qui s’était dès le premier moment démesurément étendu, et il avait défié longtemps toutes les pompes. Les manœuvres avaient été mal dirigées, un commandement intelligent avait, paraît-il, fait défaut, et en quelques heures une bonne partie de la ville, deux ou trois grands hôtels, plusieurs églises, nombre de riches maisons dans les belles avenues Wabash et Michigan, avaient été la proie des flammes ; la Poste avait failli disparaître. La limite sud de l’incendie de 1871 avait été, sur le quartier qui regarde le lac, envahie par celui de 1874 ; mais la surface totale brûlée était beaucoup moindre, seulement 25 hectares. Comme nous arrivions et que la locomotive passait devant les maisons encore en feu, les enfans des rues, ces petits-vendeurs de journaux qu’on retrouve partout aux États-Unis, montèrent dans le train et vinrent nous vendre les newspapers parus à l’instant, qui donnaient tous les détails de l’incendie à peine éteint, l’évaluation de toutes les pertes et des conseils pour l’avenir. Nous ne savons si ces conseils seront suivis, s’il sera par exemple défendu maintenant de bâtir en bois, au moins dans le centre de la ville, et si l’on en aura éloigné les chantiers de bois que possède en si grand nombre Chicago ; du moins les plus puissantes compagnies d’assurances contre l’incendie se sont entendues pour refuser désormais de prendre aucun risque dans une ville si souvent et si terriblement atteinte.

Le matin de l’incendie du 13 juillet, le long du lake-parc, sorte de square nu qui s’étend devant le lac, on voyait des files de charrettes stationnées, et gisant par terre un amas confus de meubles, de linge, d’ustensiles divers, épaves arrachées au désastre. Des familles attristées étaient campées en plein vent ou sous la tente, en attendant d’avoir trouvé un gîte. Dans la journée, je visitai le