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familièrement s’asseoir à côté et même sur les genoux des consommateurs et boire avec eux.. La musique y est à l’avenant et la clientèle masculine des plus compromettantes. Ces buvettes du soir étalent partout leurs enseignes dans les rues les plus fréquentées, sur des réverbères de couleur transparens et sous le titre alléchant de « salons des jolies jeunes filles, pretty girls saloons. » Par momens, la police y pratique des razzias, et ce n’est pas sans une lutte un peu vive, sans donner du casse-tête de ci, de là, sans tirer au besoin quelques coups de revolver, qu’elle emmène tout ce monde au poste. Le scandale atteint parfois de telles proportions que le maire fait fermer tous ces établissemens ; ils rouvrent deux jours après, comme si rien n’était survenu.

Jetons un voile sur ces impudeurs propres à toutes les grandes villes américaines, surtout celles qui ont été si subitement et si diversement peuplées, comme celle-ci, et revenons aux honnêtes gens. La population saine de Chicago, avons-nous dit, se fait remarquer par une énergie, une audace indomptable. Elle ne doute de rien et va toujours en avant sans s’arrêter à aucun obstacle. Quand il a fallu assurer définitivement le service des eaux potables dans cette ville, dont la population augmente si étonnamment chaque année, l’ingénieur municipal, M. Chesbrough, a conçu un projet qui a plu à ces gens hardis. Il est allé chercher l’eau sous le lac, pour l’avoir toujours fraîche et pure, par un tunnel de 3 kilomètres 1/2, et il l’a refoulée, avec le secours de puissantes machines, au sommet d’une haute tour, d’où elle se déverse dans toute la ville, à tous les étages des maisons. Deux immenses pompes, qui seraient capables d’assécher le lac, travaillent jour et nuit. Une autre fois, on s’aperçut que les maisons de la ville s’enfonçaient dans le lit de boue où on les avait bâties à la hâte. L’eau, dans les crues du lac et de la rivière, inondait les rues, descendait dans les magasins, dans les sous-sols. Vite un architecte ingénieux se présenta ; il exhaussa chaque maison sur ses fondemens au moyen d’une ligne de vis calantes qui la soutenaient tout autour. Sur ces crics puissans, l’édifice s’élevait peu à peu, et finalement on comblait par de nouvelles fondations l’espace demeuré vide. Des îles tout entières de maisons ont été ainsi exhaussées de 2 ou 3 mètres au-dessus de leur niveau primitif, et ceux qui ont visité l’exposition universelle de 1867 à Paris ont pu voir, dans la section américaine, les dessins qui représentaient tous les détails de cette incroyable opération. N’allez pas au moins imaginer que les habitans quittaient pour si peu leurs demeures. Ils allaient et venaient, vaquant à leurs travaux habituels, pendant qu’on soulevait leur maison. De Chicago, cette coutume hardie est passée en d’autres villes d’Amérique, et il nous souvient d’avoir vu à San-Francisco