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dans ses vastes abattoirs à vapeur, la viande fournie par ce bétail, pour l’expédier ensuite à travers le monde entier. C’est là ce qu’elle entreprit, et l’on cite aujourd’hui tel de ces abattoirs où l’on peut tuer 12,000 porcs par jour, et où l’on vient de trouver le moyen, en usant convenablement de la glace, de travailler même en été.

Non contente d’avoir imaginé ou du moins importé chez elle cette intéressante industrie, Chicago a voulu en avoir d’autres ; des tanneries, des minoteries, des forges, des usines pour le raffinage des minerais d’argent, des manufactures de pianos, de machines agricoles, d’autres fabriques non moins importantes y ont été établies. C’est aussi un grand entrepôt de houille, de métaux, de thé, de café, de produits comestibles de tout genre : tout le far-west jusqu’au Pacifique vient s’alimenter là.

La population de cette merveilleuse ville double en quelques années. Chicago, qui n’avait que 4,000 habitans en 1837, en avait 225,000 trente ans après, quand j’y passai pour la première fois en 1867. L’année suivante, j’y relevai 250,000 habitans. En 1870, le recensement décennal de l’Union en constatait 300,000[1]. En 1872, malgré les suites de l’effroyable incendie de l’année précédente, dont la date est à jamais ineffaçable, si les traces en ont déjà presque entièrement disparu, le chiffre de la population, qui était alors de 364,000, avait augmenté de 30,000 sur celui de 1871. Enfin en 1873, la chambre de commerce de Chicago estimait à 430,000 le nombre des habitans de cette ville, qui est maintenant arrivée à 500,000, et dépassera peut-être 1 million dans dix ans[2].

Ce que peut être la population d’une cité semblable, il n’est pas besoin de le dire ; nous connaissons les hommes de l’ouest. Ici une société polie, raffinée, lettrée, comme il n’est pas rare d’en rencontrer à chaque pas dans les villes des états atlantiques ou du sud de l’Union, est presque entièrement absente ; mais vous chercheriez vainement ailleurs autant d’hommes de hardiesse et de sang-froid. Tous se font remarquer par une espèce de dédain des formes reçues et souvent des conventions sociales que la morale a consacrées, et le code de l’honneur n’est pas toujours strictement observé par eux. La plus grande égalité règne dans tout ce monde, et une sorte de familiarité native. On y remarque aussi le plus grand mélange, et tel qui a été naguère ministre, général ou ambassadeur, n’étant

  1. Le chiffre exact donné par le cens est de 298,077 habitans. Voyez le Ninth Census of the United-states, Washington 1872.
  2. On demandait récemment à un Chicagois combien sa ville renfermait d’habitans. « Je ne saurais vous le dire au juste, répondit-il, je suis absent de Chicago depuis une semaine. » Dans ces dernières années, l’accroissement de population de Chicago a été d’environ 35,000 habitans par an ; cela fait en moyenne près de 100 par jour.