Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/570

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

veulent, et dépensent à pleines mains les dollars que le chef de la famille ira bravement regagner quand elles auront épuisé sa bourse.

L’homme de l’ouest est fier de sa ville, la ville qu’il a vue naître et grandir si vite, et où il a fait fortune. Ces monumens, ces édifices grandioses, qui font son orgueil, il en a voté la construction, à laquelle il a souvent coopéré de son argent dans une souscription publique, il les a vus sortir de terre, il n’y a pas vingt ou trente ans. Quand l’incendie, qui promène ici trop souvent ses ravages, car il existe partout des files de maisonnettes de bois à côté des plus magnifiques constructions, tant on s’est hâté de marcher en avant, quand l’incendie les a détruits, ces monumens dont il est fier, il les a rebâtis plus beaux, plus vastes, et ne s’est arrêté devant rien pour augmenter l’ampleur de sa ville chérie. De là le contentement qu’il éprouve à vous en montrer les détails, à vous en raconter tout au long les merveilleux développemens. Si vous lui avez été adressé, — une ligne jetée sur le papier, que dis-je ? un mot sur une carte suffit pour cela, — il vous reçoit à bras ouverts, vous prend dans sa calèche et vous promène partout. Il vous montre les églises, les écoles, les théâtres, les bureaux de journaux, de compagnies d’assurances, de banque et de sociétés de crédit ; il vous fait voir les asiles, les hôpitaux, les prisons. Il vous conduit dans les grandes manufactures, les vastes usines qui entourent la ville et vers les prises d’eaux, les immenses réservoirs qui l’alimentent, et où l’art de l’ingénieur s’est étudié à faire les choses de la façon la plus perfectionnée, la plus hardie. Il ne vous fait grâce de rien, vous voiture dans toutes les allées du parc ou du cimetière coquet, situé toujours dans un lieu ravissant, au milieu des arbres et des fleurs, si bien que vous vous prenez à souhaiter de venir dormir de votre dernier sommeil sous ce gazon touffu et parfumé. Vous êtes son hôte, vous lui appartenez ; il veut qu’on sache en Europe qu’il n’est pas ignorant des belles choses ni des bonnes manières, il faut que les mérites de son pays soient partout proclamés, reconnus. « N’est-ce pas que ma ville est belle, vous dit-il, et que c’est la mieux construite de toutes celles que vous avez vues ? Le feu nous a envahis vingt fois, vingt fois nous avons rebâti nos maisons. Le terrain double ici de prix tous les cinq ou six ans, tant notre population augmente vite. Allons, avouez que notre ville est belle et que nous sommes un fameux peuple. »

C’est un fameux peuple en effet que celui qui résulte de tout ce mélange d’émigrans venus à l’ouest en rangs compactes et pressés. Il est sorti de là un ensemble de rudes travailleurs qui peu à peu va se fondant en une seule race, mais qui garde encore sur bien des points des caractères distinctifs. A Cincinnati, à Chicago, à Saint-Louis, les Allemands entrent pour un tiers dans le chiffre de