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par ses ateliers de construction de navires : c’est un des ports les plus fréquentés des grands lacs. Détroit est encore une cité de premier ordre ; c’est là que sont concentrées les usines métallurgiques où l’on traite le magnifique minerai de cuivre du Lac-Supérieur. On s’y livre aussi sur une grande échelle à la fabrication du porc salé. La société y est hospitalière et distinguée, et cette ville se souvient qu’elle a été fondée par les Français. Il y a beaucoup de Canadiens, et l’on y parle couramment notre langue. Faut-il citer maintenant Pittsburg en Pensylvanie, que les Français fondèrent sous le nom de Fort Duquesne, et qui va peut-être se fâcher d’être comprise au nombre des villes de l’ouest ? Elle est célèbre par ses usines à fer, ses raffineries de pétrole, ses mines de charbon, ses verreries, ses manufactures de tout genre. On l’appelle « la ville fumeuse, » et c’est à la fois le Manchester et le Birmingham de l’Amérique du Nord. Faut-il mentionner aussi Cincinnati sur l’Ohio, qui s’est baptisée du nom de « cité reine, » mais que l’on surnomme plus volontiers Porcopolis, parce que c’est elle qui la première, sur une immense échelle, a entrepris la préparation des viandes fumées et salées ? Cincinnati repousse avec dédain ce sobriquet et ne tient qu’à celui qu’elle s’est décerné elle-même. Elle a la prétention d’avoir la société la plus choisie de l’ouest, et parle à tout propos des manières aristocratiques, des goûts délicats et lettrés, des riches collections de tableaux de quelques-uns de ses habitans. Un Français depuis longtemps établi dans la ville m’a dit que ces prétentions sont justifiées. Toutefois Cincinnati s’exerce aux arts industriels encore plus qu’aux beaux-arts, se livre à la culture de la vigne et cherche à vous faire croire que le vin de Champagne et le vin du Rhin qu’elle fabrique, son catawba mousseux ou son moselle sec, étonnamment chargé d’alcool et d’un goût de silex détestable, peuvent lutter victorieusement avec ceux d’Europe. Il faut laisser cette illusion à ces vignerons naïfs, nés d’hier, et saluer encore sur l’Ohio Louisville, où déjà commence le sud. C’est la principale place du Kentucky, elle fait un grand commerce de tabac.

Chacun sait que toutes les cités américaines, sauf quelques exceptions très rares, sont bâties sur le même modèle, celui d’un damier ; les rues s’y croisent à angles droits. Qui a vu une de ces villes les a vues toutes, et c’est encore un des désespoirs du touriste que cette désolante similitude. Partout l’architecture est à peu près du même type, celui qu’on appelle là-bas renaissance, soit que les Américains aient eu la prétention de créer un style particulier, soit que leur façon de bâtir emprunte en effet quelque chose par les contours du dessin, la forme des dômes, les reliefs donnés à la pierre, la nature des ornemens, à l’architecture française du XVIe siècle. On imite aussi couramment les ordres grec et romain, surtout dans les