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plupart de ces maisons d’habitation, l’état plantureux de ces belles campagnes, on se prenait à regretter que ceux qui sont malheureux en France et trop à l’étroit n’émigrent pas plus souvent aux États-Unis.

Quelque route que l’on prenne pour se rendre à Chicago quand on est arrivé à l’altitude des lacs, que l’on suive celle qui côtoie le bord canadien du lac Erié ou le bord américain, ou bien encore la route où nous étions tout à l’heure et qui passe plus avant dans les terres, ce ne sont partout que campagnes cultivées où se dressent jusqu’à hauteur d’homme les graminées verdoyantes, le blé dont on enverra la récolte jusqu’aux extrémités du globe, le maïs avec lequel on engraisse le bétail. Des maisons élégantes, construites en bois, munies de balcons, de galeries extérieures, apparaissent de loin en loin : c’est la demeure du fermier, propriétaire du sol où il réside. Il cultive lui-même son champ, élève son bétail et ses animaux de basse-cour, aidé de sa femme et de ses enfans ; il faut y joindre une troupe de garçons et de filles qu’on loue au mois ou à l’année. Dans le principe, le colon s’est installé librement sur le terrain ; il l’a acquis du gouvernement fédéral en retour d’une somme minime et en vertu de la loi de homestead ou du foyer, qui fixe l’étendue de terre à laquelle a droit toute famille de colon. D’après cette loi, le colon peut occuper pour lui-même 64 hectares des terres publiques cadastrées, et autant de fois cette étendue qu’il y a de personnes majeures dans sa famille. Cette mesure de 64 hectares (160 acres) est restée ce qu’on est convenu d’appeler aux États-Unis l’aire moyenne d’une ferme ; mais dans les lieux que nous traversons, depuis longtemps défrichés et semés, il s’est fait-sur certains points une concentration des cultures primitives qui sont passées dans quelques mains seulement, et il n’est pas rare de voir tel fermier possesseur de plusieurs milliers d’hectares et aussi de plusieurs milliers de têtes de bétail. Ces propriétaires fonciers ont des revenus énormes, et ce n’est pas seulement dans les grands centres de commerce et d’industrie que l’Amérique montre ses nababs, c’est aussi au milieu des grandes plaines cultivées de l’ouest.

Que le fermier soit riche ou simplement dans une modeste aisance, la maison est toujours proprement tenue ; il n’y manque jamais le salon, le drawing room, où la famille se réunit le soir pour lire, causer, faire de la musique. L’inévitable piano, marqué souvent du nom d’un des facteurs les plus connus, est dans un coin de l’appartement, et la fermière y joue et même y chante à ses heures. Des tapis moelleux sont étendus sur le parquet, sur les marches des escaliers intérieurs ; de bons meubles, quelques-uns coquets, décorent les diverses pièces. Le linge est blanc et la table abondamment servie. On fait trois repas par jour ; la viande y apparaît