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ce point, le chemin de fer de l’Hudson et New-York-Central se dirige en ligne droite sur les chutes du Niagara. Ici se marient les souvenirs des deux colonisations française et anglaise, qui luttèrent si longtemps l’une contre l’autre. Le traité de Paris, signé en 1763, mit seul fin à cette lutte près de deux fois séculaire, et ce jour-là la France dut abandonner pour jamais ces régions, que Voltaire, qui ne les connaissait pas et avait sur ce point si peu conscience de l’avenir, qualifiait dédaigneusement de « quelques pieds de neige. » Devant Buffalo, sur l’autre côté de ce canal naturel qui fait communiquer le lac Erié avec le lac Ontario et qu’on appelle la rivière Niagara, — la chute en est vers l’extrémité opposée, — se dressent les ruines d’un fort que les Français avaient bâti, et qu’ils appelaient fort Erié, du nom d’une tribu voisine. Le fort Niagara était au-delà des chutes, et le fort Frontenac, dont le nom rappelle un des gouverneurs du Canada, à l’endroit où le lac Ontario forme la rivière Saint-Laurent, là où est aujourd’hui Kingston. Une ligne de forteresses élémentairement construites, et dont Vauban n’avait certainement pas fixé les contours, marquait la limite entre les colonies de l’Angleterre et de la France, colonies que ces deux nations devaient perdre successivement, mais dont la première devait au moins garder ce qu’elle avait ravi à l’autre.

Des chutes du Niagara à Chicago, le chemin de fer, quelque voie que l’on prenne, suit, comme précédemment, une direction presque rectiligne, droit à l’ouest. On peut longer la rive nord du lac Erié, le côté canadien, et, rentrant ensuite dans les États-Unis, passer par la ville de Détroit, dont le nom est resté français. C’est le lieu où le lac Huron, ou plutôt le petit lac Saint-Clair, qui lui fait suite, jette ses eaux dans celles du lac Erié. La longueur et la direction du trajet sont à peu près les mêmes, si l’on part de Buffalo en côtoyant la rive sud du lac Erié par le chemin dit Lake-Shore, qui traverse les riches cités de Cleveland et de Toledo, assises au bord du lac. Cette partie de la route est des plus pittoresques. Partout ailleurs ce n’est que la plaine défrichée, plantée de céréales, et qui s’étend horizontalement, monotone dans sa fertilité, jusqu’aux confins de l’horizon.

Le long du railroad de l’Erié, le paysage est plus varié que sur celui de l’Hudson. On recoupe en diagonale tout l’état de New-York. On ne traverse que rivières profondément encaissées et montagnes couvertes de chênes, d’érables et de sapins. Le tracé de la voie a été des plus difficiles et fait honneur à l’ingénieur qui l’a dessiné, d’autant plus que ce chemin est l’un des premiers qui ont été construits en Amérique. Comme sur le railroad de l’Hudson, se présentent au départ quelques souvenirs historiques, les seuls qu’on relèvera le long du voyage. Les montagnes qu’on traverse sont